Histoire naturelle Les habitations lacustres
Documents anciens d'histoire naturelle |
|
LES HABITATIONS LACUSTRES DE WAUWIL (PRÈS DE SEMPACH) Tout le monde connaît aujourd'hui, plus ou moins, les habitations lacustres, soit pour en avoir lu des descriptions, soit pour avoir fait des fouilles soi-même ; mais si le nombre des premiers est considérable, il n'en est pas de même des autres. Les livres, cependant, ne peuvent pas vous donner une idée parfaite de ce qu'étaient ces habitations primitives : pour bien les comprendre, il faut se rendre sur l'emplacement même et faire exécuter des fouilles, ce qu'à la vérité on ne peut pas faire partout. Lorsqu'une station lacustre est découverte, il ne manque pas d'archéologues pour en enlever tout ce que l'on peut y prendre, et pour arracher jusqu'aux restes de poteaux qui soutenaient les habitations de leurs ancêtres. On comprend qu'en peu d'années, et quelle que soit la richesse de la station, il ne doit plus rien en rester. Mais il en est tout autrement lorsque le lac ou l'emplacement sur lequel ont été découverts des vestiges d'habitations lacustres appartient soit à un collectionneur, soit à un propriétaire qui fasse exploiter cette station pour en retirer de l'argent. Celle de Robenhausen, par exemple, qui est exploitée depuis plusieurs années déjà dans ce but, a fourni bon nombre d'échantillons à bien des musées ou collections particulières. Mais ce qui est alors ennuyeux pour l'acheteur, c'est que, lorsqu'il n'est pas connaisseur parfait en pareille matière, il risque souvent d'être surfait par le marchand qui, quelquefois aussi, peut, parmi de véritables silex lacustres, lui en glisser un ou deux taillés par des modernes. Il est, d'ailleurs, très difficile de distinguer un silex de l'âge de la pierre, d'un éclat de silex taillé auXIXe siècle, et il faut des yeux bien exercés et une connaissance approfondie du sujet pour reconnaître la fraude. En général, ces objets se vendent à des prix très élevés, ce qui les rend inabordables pour des personnes qui ne sont pas décidées à y mettre une somme assez ronde. Or, n'étant pas connaisseurs, mais, par contre, très désireux de visiter une de ces stations lacustres et d'y pratiquer nous-mêmes des fouilles, s'il y avait lieu de le faire, nous partons de bon matin de Lucerne pour Wauwil, petit village des environs de Sempach, où, d'après certains échantillons de toute beauté du musée archéologique de Lucerne, devait se trouver une de ces stations. Descendus de chemin de fer, avant d'arriver à Wauwil, nous demandons tous les renseignements possibles aux personnes du pays, mais de ce côté, pas de réponses qui puissent nous éclairer beaucoup. Enfin, au bout de trois à quatre heures de marche, nous arrivons sur une colline dominant un vaste cirque de tourbières, avec un écoulement du côté du lac de Sempach, et qui, selon toute apparence, devaient avoir été primitivement un lac. Là devaient se trouver les habitations lacustres que nous cherchions avec tant d'ardeur ; c'est là qu'elles se trouvaient en effet. A notre demande, quelques ouvriers, travaillant à extraire la tourbe, répondent affirmativement, et l'un d'entre eux, dans l'espoir d'une gratification, s'offre même pour nous accompagner sur l'emplacement des habitations lacustres et y exécuter des fouilles en notre présence. Chemin faisant, il nous dit qu'on y avait déjà trouvé beaucoup d'objets intéressants, et que nous aurions pu avoir une belle tête de cerf, munie de ses andouillers, si nous étions venus à Wauwil quelques jours plus tôt. Si je m'en souviens bien, il nous dit aussi qu'on y avait trouvé une tête humaine ; mais ici mes souvenirs ne me permettent pas de garantir le fait. Enfin nous arrivons sur les lieux. Des excavations, comblées depuis peu, prouvaient que les fouilles exécutées ne dataient pas de longtemps. Ici, premier bonheur ! Un d'entre nous rencontre de son pied un objet dur. Un caillou dans ce sol tourbeux? Impossible, à moins qu'il n'y ait été apporté ; ce devait être une hache ou une pierre taillée. On se baisse, on ramasse l'objet ; effectivement, c'était bien dûment une bonne hache lacustre en serpentine. Décidément la fortune nous favorisait ce jour-là ; n'avoir qu'à se baisser pour ramasser à ses pieds une hache, c'était un bonheur extraordinaire. Nous fûmes plus heureux encore dans nos fouilles, ainsi qu'on va d'ailleurs le voir. Notre homme commence à creuser, après avoir choisi pour cela l'emplacement qui lui semblait le meilleur. La couche de tourbe pouvait avoir en cet endroit environ 1 mètre à 1 mètre 50 d'épaisseur. Lorsqu'on l'avait traversée, on rencontrait l'ancien lit du lac, formé d'argile blanche, grasse et onctueuse au toucher. Cette argile, mêlée dans sa partie inférieure à des fragments de granit, renfermait en abondance des coquilles fossiles qui avaient autrefois vécu dans le lac. Elles se composaient principalement de Valvata, Limnea ovum, Planorbis carinatus, et de Paludines. Il devait évidemment y avoir encore d'autres espèces, mais elles étaient bien plus rares, et nos véritables fouilles nous empêchèrent d'ailleurs de nous en occuper aussi sérieusement que nous l'eussions voulu. Ces coquilles étaient blanches et très friables, mais presque toutes étaient entières. D'autre côté cependant, les fouilles avancent, et bientôt nous rencontrons une couche renfermant un mélange de toutes sortes de débris. Cette couche repose immédiatement sur le fond primitif du lac. Des ossements de toutes sortes ne tardent pas à voir le jour. Parmi ceux-ci se trouvaient même des débris d'os carbonisés par les habitants primitifs de la contrée. Ces débris, en petite quantité d'ailleurs, étaient mélangés à des morceaux de charbon de bois. Enfin, nous trouvons le premier silex taillé, silex suivi, dans l'espace d'une heure et demie, de six à sept autres, et d'une nouvelle hache en serpentine, infiniment plus belle et mieux conservée. Enfin, la bêche de notre chercheur rencontre aussi une petite meule à broyer le grain, une navette taillée dans une côte de cerf et bien conservée, des aiguilles en os, des pointes de flèches en silex et des débris de poteries en assez grand nombre. Ce jour-ci, nous avions une chance qui nous avait rarement favorisés dans nos autres courses. Cependant l'après-midi avançait ; il s'agissait maintenant de quitter cette place où nous aurions pu rester des journées entières. Après avoir soigneusement empaqueté tout ce que nous avions trouvé, après avoir pris congé de notre ouvrier, nous reprîmes, aussi rapidement que nous le permettait le poids de notre butin, le chemin que nous avions parcouru le matin. E. Engel. |
|