Histoire naturelle Notes sur le Crapaud
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NOTES SUR LE CRAPAUD. Il y a encore certains faits qui ont fortement intrigué le monde : ce sont les pluies de crapauds. Souvent on voit le sol jonché, après un orage, de quantités innombrables de petits crapauds; certaines personnes ont prétendu même en avoir vu tomber sur leurs maisons ou sur elles-mêmes. Nous retrouvons encore ici le fabuleux mêlé à la vérité : après la pluie, les jeunes crapauds, métamorphosés depuis peu, quittent en foule les mares qu'ils ont habitées jusque-là, pour aller se choisir un domicile sur la terre ferme. Quant aux personnes qui prétendent avoir vu, de leurs propres yeux vu, des pluies de crapauds, ou bien elles veulent nous mystifier, ou bien elles ont été induites en erreur par le désir de trouver une explication à celle abondance subite de crapauds jonchant la terre; une troisième explication possible, si elle ne semble pas très probable, c'est celle d'une trombe enlevant ces animaux de leurs marais, et les faisant retomber par terre, loin de toute eau. Je suis obligé de renvoyer ceux de mes lecteurs qui voudraient connaître avec plus de détails les faits dont j'ai parlé, aux Animaux à métamorphoses, de M. Victor Meunier, ouvrage intéressant, mais dont j'ai eu, malheureusement connaissance trop tard pour pouvoir en faire usage ici. On y trouvera une foule de faits sur les crapauds ermites et les pluies de crapauds; quant aux conclusions, que chacun les tire pour lui-même. J'aurais à dire quelques mots d'un fait singulier, observé récemment, et communiqué, il y a quelques mois, à l'Académie des sciences; mais je n'ai pu encore réunir les matériaux nécessaires, et je me vois forcé de passer outre, en le réservant pour une autre fois. V. — Utilité du Crapaud. Il nous reste une question importante à traiter. Doit-on détruire le crapaud comme un animal venimeux, doit-on le protéger comme un animal utile? Venimeux, il ne l'est pas, à proprement parler; utile, il l'est très certainement. Mais d'abord, je vais vous étonner en vous disant que cette triste bête est d'un caractère doux et obéissant; elle est très facile à apprivoiser, et apprend en peu de temps à reconnaître son protecteur et à obéir à son appel. M. Bell possédait un crapaud qui avait coutume de venir s'asseoir sur sa main. Outre les animaux domestiques, l'homme possède encore de nombreux et précieux auxiliaires, dont trop souvent il récompense les immenses services par une injuste persécution. Le crapaud est un de ces animaux méconnus. Proposez à un de nos jardiniers de le délivrer de cette race terrible des limaces, des chenilles, des insectes phytophages, qui rongent ses légumes, ses fleurs, qui le poursuivent sans lui laisser ni trêve ni repos; il vous regardera d'un air incrédule. Et cependant le miracle est possible, au moins jusqu'à un certain point; et le sauveur des choux et des roses, ce sera encore le crapaud. Promenez-vous dans un champ de luzerne, par une soirée de mai, et donnez-y quelques coups de filets. Vous serez étonnés de la quantité de limaces qui se trouveront dans le sac, avec une foule de coléoptères. C'est que la nuit est surtout le moment de la destruction. Mais c'est alors aussi que Bufo sort de sa sombre retraite, et je vous assure que tout paresseux qu'il semble, il n'y va pas de main morte. Sa langue, qui est conformée d'une façon particulière, est lancée avec la vitesse de l'éclair sur la victime; puis elle rentre dans la bouche, portant l'insecte qui y adhère. Et ce manège-là continue toute la nuit, car le crapaud est un vorace animal, et il a beaucoup à faire à vider le jardin des limaces, des larves, des vers, des insectes qui y pullulent. Les jardiniers anglais, et même ceux des environs de Paris, plus sages en cela que les nôtres, ont compris l'utilité du crapaud, et aux alentours de Londres et de Paris on en fait un petit commerce, dans le seul but de protéger les cultures maraîchères contre les ravages des ennemis de l'agriculture. Les entomologistes (ces gens là ne reculent devant rien) ont profilé de la voracité du crapaud pour en faire un auxiliaire bien involontaire. Ils tuent ces animaux et les ouvrent; l'estomac est rempli d'insectes souvent en parfaite conservation, parfois même encore vivants, et très rares. Mais c'est là un moyen qu'il ne faut pas employer systématiquement; c'est détruire un précieux auxiliaire de l'agriculture, et en même temps tuer sans utilité un animal qui souffre bien plus que les insectes. Je ne sais s'il est vrai que l'on fasse quelquefois manger aux amateurs de cuisses de grenouilles des cuisses de crapauds; je l'ai entendu dire de différents côtés, et M. Meunier l'affirme positivement; cela n'a, du reste, rien d'impossible. A ce propos, je hasarderai un mot on faveur des grenouilles. On les pêche à la ligne, et souvent, séance tenante, sans les tuer, on leur tranche la partie postérieure du corps, puis on les laisse où elles sont tombées, en s'imaginant que les pattes repousseront. Il n'en est rien, naturellement, et les pauvres batraciens ont à subir une lente et affreuse agonie, qui dure des heures, des jours même, avant d'amener la mort. (A suivre.) E. Dollfus. |
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