Histoire naturelle Notes sur le Crapaud
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NOTES SUR LE CRAPAUD (Bufo vulgaris). I. Dégoût qu'il inspire. — Son venin. Cet animal, jeu bizarre de la nature, qui semble un produit de l'humidité et de la pourriture, comme l'appelle le continuateur de Buffon, Lacépède, est un exemple frappant de la disposition des hommes à juger de l'intérieur d'après l'extérieur. Le crapaud n'est certes pas un idéal de beauté ; on ne peut retenir un mouvement involontaire de dégoût quand, sous quelque grosse pierre, sous quelque planche, dans un lieu sombre et humide, paradis de la moisissure, on aperçoit tout à coup une bête informe, à la peau visqueuse et couverte de verrues, aux yeux ronds et brillants, qui s'éloigne lentement par des sauts paresseux, pour fuir la lumière importune. Je comprends parfaitement la répugnance instinctive qu'inspire ce laid ténébreux, répugnance que partagent presque tous les hommes, et que nous retrouvons à toutes les époques. D'ailleurs, le dégoût et même la crainte que le crapaud inspire à la plupart des hommes ne prend pas sa source seulement dans sa laideur. Si l'on essaye d'en saisir un, il tendra sa peau comme un tambour, grâce à son peu d'adhésion aux muscles, et protégé ainsi par une enveloppe élastique d'air, il résistera parfaitement aux coups de bâton ou aux pierres avec lesquelles on voudra l'assommer. Si maintenant on veut en prendre un dans la main, il se défendra au moyen de son urine, et aussi en faisant suinter de glandes et de pustules placées sur le dos et le cou une liqueur laiteuse et acre qui, sans être un poison véritable, peut produire une irritation de la peau. C'est cette humeur visqueuse qui a donné naissance à tous les contes dans lesquels le crapaud passe pour un animal presque uniquement composé de poison. Ce venin du crapaud a été l'objet d'études sérieuses de la part d'un grand nombre de naturalistes, et la plupart sont arrivés à la conclusion suivante : le crapaud ne peut empoisonner sa victime en la piquanl, en la mordant, en crachant, en soufflant sur elle, ou en la regardant, toutes choses qui ont été assurées autrefois ; mais l'humeur acre, jaunâtre, lactescente, d'une odeur fétide, qu'il sécrète quand on le touche et surtout quand on le saupoudre de sel. produit sur la main une brûlure et même des éruptions. Gratiolet et Cloëz en ont inoculé à des oiseaux, qui après avoir chancelé pendant quelques minutes fermaient les yeux et mouraient sans convulsion. Deux milligrammes de cette humeur préalablement desséchée, puis introduite dans la circulation d'un verdier, l'ont tué en un quart d'heure. Vulpian a trouvé que le venin du crapaud commun (B. vulgaris) et celui du crapaud des joncs (B. calamita), introduits sous la peau des mammifères, tels que le cochon d'Inde, le chien, le bouc, les faisaient mourir en moins d'une heure. Ce fluide, paraît-il, agit en arrêtant les mouvements du coeur. Le sable même, imprégné de cette humeur, fait mourir les oiseaux quand on en introduit dans leur cage (Lenz). Fallas et d'autres observateurs parlent de chiens qui seraient morts pour avoir pris des crapauds dans la gueule, ce qui confirmerait les observations de Vulpian. Cependant d'autres animaux, tels que les canards et les buses, les mangent, sans éprouver le moindre inconvénient d'une pareille nourriture. White (Natural History of Selborne) parle d'un charlatan qui mangea un crapaud pour étonner les paysans; après quoi il but de l'huile. Du reste, certaines nations mangent cet animal. Reichenbach croit que lorsque le crapaud s'est nourri d'insectes dont les sucs sont acres (carabus? vésicants?), son venin en acquiert plus de force et d'âcreté. (A suivre.) E. DOLLFUS. |
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