Histoire naturelle Croyances superstitieuses
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CROYANCES SUPERSTITIEUSES RELATIVES AUX REPTILES. Partout nous retrouvons l'antipathie profonde de l'homme pour le reptile, et à chaque pas, le naturaliste qui veut instruire les populations des campagnes, les éclairer sur des craintes pusillanimes ou stupides, se heurte a des contes absurdes, à des terreurs superstitieuses dont le citadin lui-même, malgré la supériorité qu'il croit avoir acquise sur le paysan, n'est pas toujours entièrement exempt. La salamandre fabuleuse de l'antiquité revit encore, en ce siècle de lumière, dans la croyance des bonnes gens qui font d'un modeste batracien un animal puissant que le feu ne peut atteindre et auquel obéit l'élément destructeur (1). Les montagnards jurassiens des confins de la Suisse la craignent en excès et assurent que son pouvoir ne le cède en rien à celui du terrible basilic dont le regard donnait jadis la mort à l'infortuné qui en était vu avant de l'apercevoir lui-même. L'individu qu'a mordu une salamandre est, dit-on, en grand danger de mort, et pour se guérir il doit se faire sur le corps un nombre de petites incisions égal à celui des pustules qui couvrent la peau de la bête ; le malheureux qui boirait le vin d'un tonneau dans lequel se serait introduit cet animal, mourrait infailliblement. La grenouille, sans doute à cause de sa brillante parure et de sa gentillesse, est la seule qu'épargne le préjugé populaire ; encore rencontre-t-on des gens qui n'osent la toucher et des rustres qui l'associent au crapaud. Je me souviens même avoir entendu dire que l'absorption de beaucoup d'eau engendre des grenouilles dans l'estomac du buveur intempérant. Le soir à la veillée, on écoute avec effroi l'histoire surprenante d'imperceptibles serpents qui s'introduisent dans l'estomac lorsque l'on boit aux fontaines, et qui bientôt, grandissant, dévorent les entrailles de leur hôte ; parfois le narrateur ajoute qu'un homme ayant dormi la bouche ouverte, une couleuvre profita de cette porte pour entrer dans son corps, où elle continua à vivre, lui causant de temps à autre des douleurs aiguës par suite de morsures répétées. On m'a plus d'une fois assuré avoir vu une vipère qui, dans une étable, enroulée après la cuisse d'une vache, s'allaitait tranquillement, et que cette vache au lieu d'un liquide blanc et pur comme à l'ordinaire, donnait alors un fluide visqueux, épais et sanguinolent. Dans un certain pré où d'habitude paissaient des génisses, les vipères, paraît-il, étaient nombreuses, et dès que le troupeau arrivait, les reptiles, choisissant chacun leur bête, venaient bien vite pour téter. Dans les Vosges, on prête aux serpents la singulière faculté de rapprocher et de souder au contact d'une herbe particulière les tronçons épars de leur individu mutilé, qui dès lors reprend le mouvement et la vie. Il est un pays où l'on regarde, je ne sais trop pourquoi, le lézard gris comme un ami de l'espèce humaine; il veille sur l'homme endormi dans les champs, et si un reptile malfaisant, une vipère, approche, l'intelligent animal accourt aussitôt, passe et repasse sur la figure du dormeur, afin de l'éveiller et de l'arracher au danger qui le menace. Le lézard vert, au contraire, est un ennemi redoutable; on avance à l'appui l'exemple d'un jeune et brave garçon qui en fagotant avait été mordu à la main et s'était immédiatement tranché le pouce, qu'on avait retrouvé plusieurs jours après, serré encore entre les mâchoires du saurien. Il mord avec un tel acharnement, quand on le met en colère, que parfois ses mâchoires se désarticulent ; il ne peut, dans cette position, ni ouvrir la gueule, ni la fermer, et voilà pourquoi on en trouve qui avaient conservé entre les dents les objets sur lesquels ils avaient assouvi leur fureur. Dans le Morvan, on croit aux charmeurs de serpents ; il m'a été très naïvement cité des parages infestés par les vipères, où les propriétaires, avant la moisson, vont préalablement conjurer le venin de ces reptiles qui dès lors n'attaquent personne pendant toute la moisson. Assez généralement on est convaincu de la présence d'un dard dans la gueule des serpents, et l'on a souvent mille peines à faire comprendre aux paysans qu'au lieu de piquer, ces animaux mordent; cette idée erronée peut s'expliquer: 1° par la manière dont mord la vipère qui, rejetant vivement la tête en arrière, s'élance, la gueule dilatée, et frappe en quelque sorte avec la mâchoire supérieure ; 2° par les deux petits trous qui résultent de la pression des crochets ; 3° par l'aspect d'une langue fine, dardée et divisée en deux parties qui ressemblent, la peur aidant, à des aiguillons. On est allé jusqu'à dire que pour naître, les petits de la vipère, munis de pattes, perforent le ventre de leur mère, et que des oeufs de coq déposés dans le fumier et couvés par la chaleur des étables, il sort un serpent, monstre terrible, qui sème l'épouvante au loin. Enfin en terminant j'ajouterai — le fait est bien connu — que l'imagination capricieuse des montagnards franc-comtois a donné des ailes à quelque belle couleuvre pour en faire la vouivre, qui vient se promener le soir sur le bord des ruisseaux, des fontaines, des étangs ou des lacs solitaires, avec une escarboucle enchâssée dans son front pour lui servir de guide au milieu des ténèbres où le précieux gemme étincelle de feux rosés d'un éclat sans pareil; le reptile aime à se plonger au sein des eaux, mais avant de s'abandonner aux douceurs du bain, il ôte son escarboucle et la dépose sur le rivage: l'heureux passant qui s'en saisit et reste sourd aux plaintes déchirantes de la pauvre vouivre, privée de son oeil unique, tient en sa possession un spécifique cent fois plus précieux que la pierre philosophale elle-même. Il est, je pense, inutile d'insister en terminant, sur la fausseté de tous ces petits contes plus ou moins impossibles qui circulent de village en village, profondément enracinés dans l'esprit du peuple; un peu de bon sens fait facilement justice d'erreurs aussi grossières. Gannat. S. de Prinsac. (1) Un suc laiteux qui crépite sur les charbons allumés et pourrait peut-être les éteindre dans certaines conditions, apparaît à la surface de la peau quand la salamandre est irritée. |
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