Histoire naturelle Les antiseptiques dans tous les temps (suite)
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LES ANTISEPTIQUES DANS TOUS LES TEMPS. (Suite.) Principaux antiseptiques connus. Pour se faire une idée bien nette de nos connaissances actuelles sur les antiseptiques, il est assez important de savoir quels sont les corps qui jouissent de la propriété de conserver les substances animales et jusqu'à quel point ils la possédent. L'histoire des embaumements nous a déjà conduit à l'étude de quelques-uns de ces corps, mais ceux que nous avons passés en revue sont loin d'être les seuls qui existent, et l'on peut dire avec quelque raison que la plupart des produits que nous offre la chimie sont antiseptiques à différents degrés, d'autant plus en général qu'ils sont plus solubles et plus toxiques. Nous avons déjà parlé suffisamment des sels de potasse, de soude, d'alumine, de zinc, de fer, de mercure, pour qu'il soit inutile d'y revenir; nous nous contenterons d'ajouter qu'on a essayé non sans succès le bichromate de potasse, et que certains sels de manganèse, de magnésie, de cuivre et de plomb sont plus ou moins aptes à servir aux injections. Les composés binaires, et principalement ceux de la série du chlore, offrent d'assez nombreuses applications; c'est ainsi que nous avons déjà constaté les effets des chlorures de sodium, de zinc et de mercure, et l'on pourrait joindre à ces derniers les iodures et bromures solubles, si leur rareté n'en limitait l'emploi. L'acide arsénieux, beaucoup prôné jadis, est loin d'être un aussi bon préservatif qu'on le croit généralement. Il donne naissance à des arséniures d'hydrogène désagréables et dangereux à respirer et ne fournit que des pièces assez mauvaises. Ce produit, comme on sait, est la base du savon de Bécoeur, dont tous les préparateurs font actuellement usage en attendant mieux. Son principal objet dans cette pâte est d'empêcher l'attaque des peaux par les larves de dermestes ou d'autres insectes destructeurs, et non de s'opposer à la corruption. En effet, dans les animaux empaillés avec soin, il doit rester le moins possible de matières corruptibles, de telle sorte que la pièce pourrait à la rigueur se dessécher et rester intacte sans l'intervention du savon. En somme, ce n'est pas surtout dans le but de conserver les chairs qu'on a recours à l'arsenic, mais bien pour prévenir l'attaque des parasites. Un antiseptique bien plus puissant, mais inapplicable, est l'acide cyanhydrique. Le maniement de ce corps est trop dangereux et sa stabilité trop faible pour qu'on puisse s'en servir, et l'on ne doit le regarder que comme présentant un grand intérêt pour la théorie qui nous occupe, sans qu'on doive même chercher à en faciliter l'emploi. Il est presque impossible de tenter une injection avec un liquide aussi délétère que sa dissolution; la grande quantité qui en serait nécessaire et les effets foudroyants de sa vapeur sont autant de raisons puissantes pour en détourner l'expérimentateur le plus intrépide. D'un autre côté, sa facile décomposition limiterait son action et la rendrait nulle au bout d'un temps assez court. Aussi les expériences que l'on a faites sur l'acide cyanhydrique ont été dirigées d'une tout autre manière. Elles ont, en. général, consisté dans l'exposition de la pièce anatomique ou de l'animal à conserver au milieu d'une atmosphère de celle vapeur, dans un vase parfaitement clos, où la décomposition de l'acide est nulle s'il est sec et préservé de l'action de la lumière. En s'entourant de toutes les précautions indiquées par la chimie, on est arrivé à des résultats surprenants. Non seulement la conservation des pièces mises en expérience fut complète, mais encore celles-ci gardèrent leur souplesse et sortirent des vases qui les renfermaient dans l'état où elles y avaient été introduites. Le même procédé pratiqué avec l'huile de houille, a réussi d'une façon presque aussi complète, et les expériences se répétant, on a constaté qu'un grand nombre de liquides volatils jouissaient de la même propriété que l'acide cyanhydrique, quoique à un degré moins élevé. Nous citerons en particulier les alcools, les éthers, les chlorures, bromures et iodures de carbone de la série de l'éthylène et du formène (particulièrement le chloroforme et l'iodoforme), l'acide acétique, les huiles essentielles, les goudrons, la créosote, le sulfure de carbone, etc. Une autre manière de conserver les matières animales est l'immersion dans un liquide. Le plus connu de ceux que l'on emploie est sans contredit l'alcool, aussi n'en dirons-nous rien de particulier. Nous nous contenterons de remarquer qu'il empêche la décomposition, mais produit une déformation considérable des pièces immergées, ce qui le rend peu pratique pour les animaux à peau molle ou visqueuse comme les mollusques, et inapplicable pour les animaux des premières classes. Par contre, il ne laisse presque pas à désirer, quand on s'en sert pour les reptiles écailleux, dont la chair très ferme ne peut guère se contracter, et dont la peau ne se ride que difficilement; encore ne faut-il pas que ces animaux dépassent une certaine dimension, car les résultats ne seraient plus aussi satisfaisants. Les grands serpents du Muséum nous montrent assez qu'il serait utile de perfectionner le procédé. On peut quelquefois prévenir, du moins en partie, les fâcheuses propriétés de l'esprit-de-vin par l'addition d'un corps soluble dans ce liquide ou par une dilution plus ou moins considérable. C'est ainsi que l'on a proposé de sucrer légèrement l'alcool, quand on veut conserver des chenilles à peau lisse et à couleurs tendres, ou de l'affaiblir par une dissolution aqueuse de créosote, quand on a affaire à une pièce d'assez grande dimension. Malgré les inconvénients que nous venons d'énumérer, l'alcool est encore le préservatif le plus employé pour la conservation par immersion, et l'on n'a pas encore pu lui substituer dans la pratique d'autre liquide. Ce problème, cependant, offre un grand intérêt, et de nombreux essais sont journellement tentés pour le résoudre. Voici quelques-uns des principaux résultats obtenus jusqu'ici dans ces recherches : La glycérine on principe doux des huiles, comme l'avait nommée Scheele, substance inoffensive et abondante dans le commerce, peut s'employer avec succès dans les préparations anatomiques. Soluble dans l'eau, elle est très stable, ne se dessèche pas et jouit de notables propriétés antiseptiques. Si l'on a soin de lui ajouter quelques autres substances, telles que des sels métalliques, de l'acide phénique, du sucre, etc., on obtient un excellent préservatif qui possède un grand avantage sur l'alcool. En effet, si nous prenons par exemple le mélange de dix parties de glycérine, deux de sucre et une d'azotate de potasse, nous obtiendrons un liquide dans lequel une immersion temporaire suffit pour assurer la conservation de la pièce sur laquelle on opère. Si nous retirons celle-ci de ce bain après quelques jours seulement, elle reste souple, ne se rétrécit pas en général, et même peut se disséquer avec facilité, sans que l'on ait à craindre l'altération des lames de scalpels. Une simple dissolution d'acide phénique même très étendue (l1/500 d'acide suffit), un glycérolé d'acide phénique à 1/200 conservent aussi indéfiniment. Nous pourrions encore joindre à cette liste l'acide thymique, la créosote et les acides provenant de la distillation du bois. Enfin, le docteur Ozenne donne une composition spécialement destinée à la conservation des mollusques, et qui n'est autre qu'une dissolution aqueuse d'azotate d'ammoniaque, d'iodure de potassium et de chlorure de mercure. Telles sont les principales substances antiseptiques connues de nos jours. Il en est beaucoup d'autres encore qu'il serait trop long d'énumérer. La plupart de celles que nous avons été forcé de passer sous silence, pour ne pas sortir du cadre limité que nous nous sommes imposé, sont généralement moins intéressantes que celles dont nous avons dit quelques mots. Nous nous arrêterons donc dans cette nomenclature un peu aride, d'autant que l'histoire de plusieurs de ces produits viendra plus naturellement quand nous parlerons de la conservation du bois ou des substances alimentaires.
Paris. |
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