Histoire naturelle Les antiseptiques dans tous les temps
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LES ANTISEPTIQUES DANS TOUS LES TEMPS.
Dès les temps les plus reculés, la conservation des cadavres fut étudiée avec beaucoup de soins et parvint à un haut degré de perfection. Il serait difficile d'assigner une origine exacte à cette science. Toutefois, dans l'état actuel de nos connaissances, on peut conjecturer que les Égyptiens furent les premiers qui cherchèrent à soustraire leurs morts à la destruction commune. Cette hypothèse semble confirmée par ce fait que, dans les déserts ardents de l'Afrique, on rencontre fréquemment des hommes ou des animaux desséchés et conservés assez parfaitement par les rayons du soleil et la chaleur des sables. Dans les pays tempérés, au contraire, ces conservations naturelles sont rares. Il n'est donc pas étonnant que, plus souvent témoins de ces phénomènes naturels, les Égyptiens& aient cherché les premiers à les reproduire artificiellement. De puissants motifs les engageaient, d'ailleurs, à ces recherches. Sans parler ici de leurs croyances religieuses, de leur théorie de la transmigration des âmes, il est une raison qui doit avoir beaucoup contribué à les pousser vers cette étude. Dans les autres contrées du monde ancien, on brûlait généralement les morts ou bien on les ensevelissait. En Égypte, la rareté du combustible rendait impossible la première de ces pratiques; d'un autre côté, les débordements du Nil étaient un obstacle à la seconde. Pour cette double cause, ce peuple industrieux creusa des cavités dans les rochers de ses collines et en fit ses tombeaux. Le travail était long et difficile. Aussi songea-t-on à réunir dans le même sépulcre autant de cadavres que possible. Il fallait alors de toute nécessité en empêcher la putréfaction : on en chercha les moyens, et les découvertes modernes ont assez prouvé de quel succès furent couronnées ces études. Telle est, semble-t-il, l'origine et la source première de celte science des antiseptiques qui, de nos jours, a pris une si grande importance. Examinons maintenant les procédés employés pour la préparation des momies. On peut les distribuer en plusieurs classes. Les propriétés conservatrices du chlorure de sodium (sel marin) sont connues depuis fort longtemps. On ne sait pas au juste si l'on employait cette substance pour les viandes alimentaires; mais il est certain qu'un grand nombre de momies n'avaient pas d'autre préservatif. Le cadavre était soumis à l'action du sel et le soleil achevait la préparation. Comme on peut le prévoir, ces momies sont légères : la peau est restée blanchâtre ou brune, les traits sont défigurés, les cheveux n'adhèrent plus à la tête ou sont tout à fait absents. Ordinairement, les momies sont préparées par une autre méthode. Les intestins sont enlevés et remplacés par un mélange introduit par fusion de résine et d'asphalte. Le reste du corps est traité par des matières salées, contenant, par exemple, du natron (sesquicarbonaté de soude), du sel ammoniac (chlorhydrate d'ammoniac), etc. Enfin, il en est d'autres qui, remplies comme celles-ci de résine et de bitume aromatisés, sont d'ailleurs traitées par des matières renfermant du tannin et des parfums. Ce sont des momies de ce genre qu'on peut voir au Musée du Louvre. Une assez grande quantité fut aussi envoyée, en 1867, à l'Exposition universelle. En général, les traits du cadavre ainsi conservé sont très altérés, parfois même tout à fait informes Au Musée égyptien, à Paris, se trouve exposée une tête de momie découverte, et il est facile de juger, par sa vue, de l'état de la plupart. Le nez est écrasé, à peine proéminent. Les narines rapprochées de la lèvre supérieure y semblent soudées, et l'on n'en reconnaît l'existence que par une fente étroite. La bouche contractée laisse apercevoir des dents blanches et intactes. La chevelure de la momie paraît adhérer très peu au crâne, mais est dans un état de fraîcheur remarquable, et il est très étonnant de voir ces tresses noires en aussi bon ordre après plusieurs milliers d'années d'ensevelissement. Parfois les traits de la physionomie ont moins souffert du temps. On a trouvé même certaines momies dont les yeux avaient gardé leur sphéricité, résultat indiquant assez la perfection du procédé d'embaumement. Pour faciliter la pénétration des préservatifs, les cadavres étaient enveloppés de bandelettes tellement serrées qu'elles semblent faire corps avec la momie elle-même. Ces linges, d'un tissu souvent très remarquable, étaient imprégnés d'aromates qui répandent encore de nos jours une odeur très prononcée. Après ce rapide exposé, il ne sera peut-être pas sans intérêt de lire comment s'exprime Diodore de Sicile au sujet de la manière dont les Égyptiens procédaient à leurs embaumements: « Les Egyptiens, dit-il, ont trois sortes d'embaumements: les pompeux, les médiocres et les simples. Les premiers coûtent un talent d'argent; les seconds, vingt mines; les troisièmes, presque rien. Ceux qui font profession d'embaumer les morts l'ont appris dès l'enfance. Le premier indique, sur le côté gauche du mort, le morceau de chair qu'il faut couper. Après celui-ci, vient un second, nommé le coupeur ou parachyste, qui pratique cette opération au moyen d'une pierre d'Ethiopie aiguisée. Ceux qui salent viennent ensuite. Ils s'assemblent autour du mort qu'on vient d'ouvrir, et l'un d'eux introduit par l'incision sa main dans le corps et en retire les viscères, excepté le coeur et les reins. Un autre les lave avec du vin de palmier et des liqueurs odoriférantes. Ils oignent ensuite le corps pendant plus de trente jours avec de la gomme de cèdre, de la myrrhe, du cinnamome et d'autres parfums qui contribuent non seulement à le conserver pendant très longtemps, mais encore lui font répandre une odeur très suave. Ils rendent alors aux parents le corps revenu à sa première forme, de telle sorte que les poils mêmes des sourcils et des paupières sont démêlés, et que le mort semble avoir gardé l'air de son visage et le port de sa personne. » Hérodote et Porphyre décrivent à peu près de la même manière les embaumements des Égyptiens; mais ils ajoutent qu'on injectait une dissolution très concentrée de natron, qui dissolvait les graisses et les rendait imputrescibles. Souvent même, d'après ces auteurs, on laissait macérer le cadavre tout entier dans un bain très riche du même sel, pendant un temps assez considérable. Ces descriptions des embaumements des Égyptiens par les auteurs de l'antiquité, avaient été quelquefois regardées comme invraisemblables, particulièrement par le comte de Caylus. Mais les recherches de l'analyse moderne ont pleinement donné raison à ces assertions, et il ne saurait plus rester de doute à ce sujet. Les procédés employés par les Égyptiens pour conserver leurs animaux sacrés, taureaux, éperviers, chats, etc., étaient les mêmes que ceux que nous avons exposés. Nombre de ces pièces taxidermiques d'un genre tout particulier figurent dans nos galeries, et l'on peut remarquer au Muséum des ibis et des crocodiles qui sont un curieux exemple de la perfection et de la durée de ces préparations. D'après Hérodote, les Éthiopiens conservaient aussi des momies, mais d'une manière un peu différente. « D'abord on dessèche le corps à la façon des Égyptiens ou de quelque autre manière. On l'enduit ensuite de plâtre qu'on peint, de sorte qu'il ressemble, autant que possible, à la personne même. Après cela, on le renferme dans une colonne creuse et transparente de verre fossile aisé à mettre en oeuvre, et qui se tire en abondance des mines du pays (1). On aperçoit le mort à travers cette colonne, au milieu de laquelle il est placé. Il n'exhale aucune mauvaise odeur et n'a rien de désagréable. Les plus proches parents du mort gardent cette colonne un an entier dans leur maison. Pendant ce temps-là, ils lui offrent des victimes et les prémices de toutes choses. Ils la portent ensuite au dehors et la placent quelque part autour de la ville. » Chez les autres peuples civilisés de l'antiquité, nous avons déjà vu que l'embaumement n'était pas en général en usage (2). Il n'en est pas de même de certaines peuplades sauvages. Dans les Canaries, on a trouvé des momies préparées par les Guanches. Ces dernières étaient à ce qu'on croit simplement séchées au soleil, puis cousues dans des peaux de mouton. Au Mexique et au Pérou l'on a fait des observations analogues. Une remarque assez curieuse est que jadis on expédiait du Levant des fragments de momies qui servaient en médecine. Celle substance n'agissait-elle que par les aromates dont elle était pénétrée ? C'est assez probable, car les chairs desséchées ne semblent pas être d'un usage thérapeutique très avantageux De nos jours, on a renoncé à cette coutume si opposée au respect des morts, et les momies ne viennent plus en Europe que pour servir à l'enrichissement de nos musées et à l'étude de nos archéologues. Paris. (A suivre). Ch. Demaison. (1) Peut-être du sel que l'on tire, en effet, de la terre, qui est transparent et se durcit à terre (Ludolf, Hist.- AEthiop.). (2) Cependant certains grands hommes, et sous l'Empire romain quelques personnages opulents furent embaumés. Ainsi « Alexandre fit embaumer Darius. Plus tard il le fut lui- même par des Chaldéens et des Égyptiens. La Genèse (chap. l) rapporte que Joseph fit embaumer son père, ce qui dura quarante jours, comme c'était la coutume. Saint Jean l'Évangéliste (ch. XIX) rapporte aussi qu'après la mort de Jésus-Christ, Nicodème embauma son corps au moyen d'une composition de myrrhe, d'aloès et d'autres substances balsamiques. Perse dit quelque part qu'on embauma le corps de Tarquinius. Cléopâtre fut également embaumée et retrouvée intacte 126 olympiades après par l'empereur Hé- radius. Sous le pontificat de Sixte IV, on découvrit le corps de Tulliola, fille de Cicéron ; il était dans le plus bel état de conservation. » Dr L. Labat. |
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