Histoire naturelle Conseils aux jeunes malacologistes
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CONSEILS AUX JEUNES MALACOLOGISTES.
Les mollusques sont répandus dans toutes les parties du globe; on en trouve depuis les pays les plus froids jusqu'à l'équateur, et, de même que plusieurs espèces terrestres s'élèvent à de grandes hauteurs sur la cime des montagnes, de même certaines coquilles marines vivent dans l'Océan à des profondeurs considérables. Le continent, les fleuves, les lacs et les mers nourrissent également bon nombre de mollusques, et l'on conçoit facilement combien les moyens de se procurer les coquilles doivent varier suivant les conditions d'existence des animaux : chaque habitat, chaque station demanderait pour ainsi dire un mode d'investigation particulier ! — Nous ferons observer, en passant, que l'esprit de nos lecteurs devra suppléer à une foule de détails dont l'énumération deviendrait sans aucun doute fastidieuse; c'est au naturaliste à perfectionner les moyens primitifs pour les accommoder à son usage particulier de la manière qui lui paraît la plus avantageuse. Pour procéder avec ordre et clarté, nous diviserons ici les mollusques en trois catégories : Mollusques terrestres, fluviatiles et marins. I. — Mollusques terrestres. Les mollusques terrestres sont abondamment répandus dans la nature, et s'ils fournissent peu de coupes génériques, par contre le nombre des espèces y est considérable. Les coquilles terrestres, plus que toutes les autres, demandent à être cherchées avec soin; leur récolte exige une grande attention; souvent aussi elle est plus pénible que celle des coquilles fluviatiles ou marines. Ajoutons même que la patience est indispensable pour arriver à quelque résultat, car les mollusques terrestres ne se rencontrent pas (généralement) réunis en quantités comme ceux des autres groupes. — Il faut, pour ainsi dire, les ramasser un à un, et cela, dans des places différentes; ici, il importe surtout pour le naturaliste de connaître les endroits où il a le plus de chance de rencontrer les objets de ses recherches. Les localités les plus favorables à la récolte des coquilles terrestres sont les pays calcaires, accidentés, boisés et humides. Dans un endroit qui réunit toutes ces conditions, on peut être sur de faire une ample moisson de bulimes, d'hélices, etc. Un sol calcaire fournit à l'animal les éléments nécessaires à la formation du test. L'humidité attire les mollusques hors de leurs retraites; tout le monde a pu constater que la pluie fait paraître les limaces, hélices et bulimes; si l'on y regarde de plus prés, on voit sortir aussi les clausilia, pupa, caryclinem. Dans le Nord, j'ai souvent entendu, dans les jours pluvieux, des paysans mécontents s'écrier d'une manière significative : « Il pleut des limaces! ! » Quant aux terrains accidentés et boisés, l'observation a montré que les mollusques s'y retiraient de préférence. — Ils trouvent plus d'abris dans des sites moins uniformes, et le couvert des bois conserve la fraîcheur et l'humidité nécessaire au jeu de leurs organes délicats et peu consistants. Notons en passant que les pays sablonneux et plantés de conifères sont très défavorables au développement des mollusques. C'est ainsi que la faune malacologique du département des Landes est infiniment moins riche que celle de plusieurs départements voisins où le sol est plus accidenté et la végétation plus variée. — Comme exemple à l'appui des observations précédentes, je pourrais citer encore le département du Nord, où l'arrondissement d'Avesnes, moins plat que le reste du département, fournit aussi plus de mollusques que les environs de Douai, Valenciennes, etc. Dans les bois, les mollusques se tiennent de préférence aux abords des clairières, des fontaines et sur la lisière où l'air circule plus librement et où les plantes sont plus vigoureuses. L'observation a montré aussi que l'on rencontre généralement plus de coquilles au pied des hauteurs qu'à leur sommet ou dans leur milieu. Le voisinage de la mer attire un certain nombre d'espèces que l'on ne rencontre pas ailleurs; les Hélix maritima, Alexia myosotis, Bulimus acutus. semblent affectionner l'humidité saline des plages. Enfin, quelques mollusques paraissent s'écarter complètement de leur congénères : nous voulons parler des Hélix candidissima, maritima, muralis, desertorum, des Pupa exotiques, etc., qui s'exposent volontiers aux ardeurs du soleil. — Ce sont, du reste, les coquilles les plus faciles à trouver. Les froids de l'hiver engourdissent les mollusques et les chaleurs de l'été les retiennent cachés dans de profondes retraites; le printemps et l'automne sont donc les saisons les plus favorables à la récolte des coquilles terrestres. C'est au crépuscule et surtout de grand matin qu'il convient de les rechercher : le naturaliste devra examiner l'écorce au pied des arbres, remuer les épaisses touffes de mousse (il les secouera sur un linge blanc pour apercevoir plus facilement les coquilles); il faut encore retourner les pierres, examiner les bois en décomposition, les fagots et les branches enfoncées dans l'herbe, en un mot tout ce qui peut abriter quelque animal. Nous signalerons particulièrement comme attirant beaucoup de mollusques les vieilles murailles au pied desquelles se sont accumulées des feuilles mortes. Les murs lézardés et surtout les ruines abandonnées recèlent un grand nombre de coquilles ; certaines espèces semblent affectionner particulièrement les briques, sous lesquelles elles se fixent de préférence à toute autre pierre : probablement parce que la brique étant poreuse leur laisse facilement arriver l'humidité? — Dans les places fortes de nos frontières, les hautes murailles des fortifications montrent souvent plusieurs espèces d'hélices et de limaces que l'on ne rencontre pas ailleurs. Ainsi, l'on peut recueillir, à Douai, au retour du printemps, une quantité de Vitrina annularis qui sortent des crevasses des murs, et il est à remarquer que la Vitrina annularis n'a jamais été trouvée aux environs dans aucun autre endroit. Les détritus déposés par les eaux sur le bord des rivières sont encore utiles pour se procurer quelques coquilles terrestres, l'Achatina acicula, entre autres, que l'on voit parfois en abondance au milieu des dépouilles de mollusques fluviatiles. Enfin, nous engagerons encore les jeunes malacologistes à examiner attentivement, lorsqu'ils se promèneront sur les quais, certaines marchandises en déchargement. — Je possède une espèce assez rare : le Glandina Liebmanni, trouvée à Dunkerque dans une des innombrables cavités qui sillonnent le bois de campêche. La cargaison provenait directement du Mexique, et l'animal est arrivé vivant, mais engourdi, à cause de la différence de climat. Par tout ce qui précède, il est facile de comprendre combien l'expérience doit faciliter la recherche des coquilles terrestres; du reste, que les jeunes malacologistes ne s'effraient pas ! — Cette expérience, ils l'acquerront peu à peu, pour ainsi dire sans s'en douter; c'est en cherchant et en récoltant que l'on apprend à chercher et à récolter! — On arrive à distinguer au premier coup d'oeil les coquilles adultes de celles qui manquent encore de péristome; on s'abstient bientôt de ramasser les exemplaires morts, défraîchis et sans couleurs; enfin, l'on apprend à modérer cette ardeur fâcheuse qui, bien souvent, pousse les commençants à dépouiller, par l'enlèvement d'un trop grand nombre d'individus, des stations entières de leurs espèces. Le malacologiste n'a pas à se charger, pour la recherche des coquilles terrestres, de beaucoup d'instruments : des boîtes en fer-blanc percées de trous, pour laisser vivre les mollusques; quelques tubes pour les espèces rares, petites ou fragiles; une loupe et surtout une bonne pince, voilà tout le bagage du naturaliste. — N'oublions pas cependant le crayon et le papier, si utiles pour noter de suite les observations intéressantes et relever les localités. Dans les montagnes, où une même espèce varie souvent avec la hauteur, il faut séparer sur-le-champ les individus recueillis à diverses altitudes; il faudrait même, s'il est possible, constater immédiatement l'élévation du sol au-dessus du niveau de la mer; en tout cas, il importe de prendre sur les lieux des indications devant faire reconnaître plus tard cette élévation. Nous recommanderons aux jeunes malacologistes d'avoir toujours pour le moins deux boîtes de fer-blanc : une pour les mollusques à coquilles, l'autre pour les limaces ; si l'on ne prend pas soin de faire cette séparation, on risque fort de trouver au retour toutes les espèces gâtées et salies par le mucus des limaces. — A propos de ces animaux, nous rappellerons combien il importe de les avoir vivants, leur détermination devenant des plus difficiles quand ils sont contractés et racornis dans l'alcool. Plusieurs naturalistes ont donné le conseil d'emporter un petit bocal rempli d'esprit-de-vin étendu, et destiné à recevoir les petites espèces à mesure qu'on les trouve : nous croyons cette idée mauvaise, parce qu'il vaut toujours mieux examiner à loisir les mollusques vivants lorsqu'on est de retour. — Nous ne parlerons pas ici des instruments, boîtes et paniers nécessaires à la chasse des mollusques dans les pays chauds, ce sujet ne devant pas intéresser directement nos lecteurs. Passons à l'examen de quelques procédés artificiels, de pièges, pour ainsi dire, destinés à récolter des mollusques. Il n'y en a guère; cependant les abris factices que l'on peut créer en répandant çà et là des pierres, branches, etc., sont parfois utiles; il est bon aussi de jeter quelques débris calcaires dans les endroits humides; des quartiers de fruits semés dans les pelouses, les sentiers des bois, attirent les limaces, qui viennent les dévorer; on peut encore se procurer quelques coquilles terrestres en cachant dans la terre des espèces d'entonnoirs dont la partie étroite vient s'ouvrir au milieu des herbes; à la rigueur, des carafes, des bouteilles à large goulot dont l'orifice arrive à fleur de terre, peuvent servir de pièges; on trouve le matin les mollusques qui sont tombés dans ces sortes de trappes en circulant la nuit. La testacelle peut donner lieu à une chasse spéciale; laissons parler M. Douillet, l'auteur du Catalogue des mollusques de l'Auvergne : « J'ai depuis longtemps indiqué à M. le baron de Férussac et à plusieurs autres savants conchyliologistes, le moyen que j'emploie pour obtenir une certaine quantité de testacelles. — Je me procure à l'avance, en été notamment, de très gros vers (lombrics), que l'on aperçoit accouplés a la surface de la terre, de grand matin, à la rosée; après une pluie, je coupe ces vers par petits morceaux; je les dépose à la nuit tombante le long des murs, sur les gazons où je présume qu'il y a des testacelles, en ayant soin de planter à côté, pour reconnaître la place, un petit morceau de bois ou une paille. Lorsque je retourne sur les lieux la nuit, avec une lanterne, ou à la pointe du jour, j'ai l'assurance de voir les testacelles mangeant ou emportant l'appât ainsi préparé. — Je dois ajouter que ce moyen m'a toujours parfaitement réussi. » Quelquefois, le matin, on aperçoit des vers à moitié sortis de terre, qui semblent se tordre d'une façon désespérée. En les retirant, on amène le plus souvent une testacelle qui, se sentant enlevée, ne lâche cependant point sa proie. — La voracité de ces animaux permet, comme on le voit, de se les procurer facilement. Terminons cet article, que de nombreux détails et de longues énumérations ont peut-être rendu quelque peu aride et monotone, par l'indication des particularités d'habitat de plusieurs espèces. — Tous nos lecteurs savent où trouver les Succinea, sur les plantes marécageuses; l'Hélix aculeata se rencontre au pied des arbres, sur la face inférieure des feuilles qui touchent presque la terre ; l'Achatina acicula aime à vivre dans les cavités des vieux os; l'Acme fusca habite le pied des herbes; les Clausilia affectionnent la mousse; les Limax arborum et scandens se rencontrent toujours sur les arbres; d'autres habitent les caves. Dans les pays chauds, plusieurs espèces se tiennent constamment fixées sous les épaisses feuilles des cactus et des plantes grasses; en Carniole, les Zospeum et quelques Hélices ne sortent pas des sombres cavernes; l'Hélix tristis, de Corse, s'enfonce toujours en terre, sous une plante très épineuse, le Genista Salzmanni, sans doute pour se mieux garantir de tout accident. Enfin, l'on a remarqué que les individus monstrueux ou anormaux recherchaient constamment les endroits obscurs. Telles sont les principales considérations auxquelles peut donner lieu la recherche des mollusques terrestres; si le commencement paraît pénible et difficile, la in n'en est que plus agréable, et nous ne saurions mieux finir cette notice que par un vieil adage, souvent répété, mais toujours applicable : Courage et patience! Les racines de la science sont amères, mais ses fruits sont bien doux !! Douai. Jules DE GUERNE. |
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