Histoire naturelle La Chauve-Souris
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LA CHAUVE -SOURIS.
Sunt notanda genera et ad certum Quand on étudie la nature, on ne se borne point à relater les observations et les expériences, on se propose un objet plus élevé. On veut essayer de découvrir, au milieu de la variété des espèces et de la multiplicité des phénomènes, l'ordre immuable qui préside à leur accomplissement et l'unité de plan de la création. En groupant, d'après la subordination des caractères et le degré de leurs affinités respectives, les êtres qui présentent le même mode d'organisation, les classifications naturelles aspirent à reproduire l'ordre même de la nature. Mais cet ordre admirable, cette heureuse harmonie, semblent présenter parfois d'étranges contradictions. La vue d'un mammifère pisciforme, comme la baleine ou le phoque, d'un carnassier pourvu de membranes alaires, comme la chauve-souris, frappe avec raison celui qui cherche dans le spectacle de la nature ce qu'on doit en effet y rencontrer, je veux dire un plan merveilleusement conçu et sagement combiné. C'est le triomphe de la science moderne d'avoir justifié les désordres apparents, assigné leur place dans les classifications à ces êtres jusqu'alors peu connus; d'avoir enfin démontré clairement qu'il n'y a point de caprices dans la nature. La chauve-souris a de bonne heure attiré l'attention des naturalistes. Elle se rapproche à la fois, par sa structure singulière, des mammifères et des oiseaux, puisqu'elle est vivipare, qu'elle porte des organes de lactation, en même temps qu'elle est capable de se soutenir dans les airs à l'aide des replis membraneux de la peau des flancs. Ce qui contribue aussi à rendre la chauve-souris difforme, ce sont les disproportions frappantes que l'on remarque entre les différentes parties du corps. La tête surtout présente un certain nombre de particularités bizarres : les yeux sont petits, enfoncés et couverts; la gueule est fendue de l'une à l'autre oreille ; le nez est plus ou moins large, suivant les espèces, mais le museau porte des appendices tégumentaires qui affectent les formes les plus curieuses. Tantôt ce sont des prolongements semblables à un fer de lance (Vespertilio hastatus) ou bien à une feuille ovale ; tantôt c'est un bourrelet en forme de fer à cheval (V. ferrum equinum) qui entoure le nez et ajoute encore à la difformité de la face. Ces téguments accompagnent aussi les oreilles et acquièrent, dans un certain nombre d'espèces, une longueur démesurée, surtout chez l'oreillard, désigné pour cette raison sous le nom de Vespertilio auriculus. Ainsi, les chauves-souris se rapprochent des oiseaux, non seulement par le vol, mais encore par ces sortes de membranes et de crêtes qu'elles ont sur la face, et qui se rencontrent souvent, comme on le sait, autour du bec de ces derniers. Cependant, le corps des chauves-souris est, de même que celui de la plupart des mammifères, couvert de poil dont la couleur varie avec les différentes espèces. I1 est le plus souvent grisâtre, bien que dans quelques genres il soit d'un roux marron ou d'un jaune clair; en général, il est assez long et fort doux au toucher. Mais le poil ne s'étend pas au delà du corps, et les membranes alaires sont complètement dénudées. Connaissant la forme extérieure de la tête et du corps, étudions maintenant la structure des membres, et recherchons quelles modifications l'existence d'une nouvelle fonction, le vol, a dû apporter dans les organes de la locomotion. M. G. Weiss nous a donné, dans son intéressant article, la théorie du vol (1). Il sera donc inutile d'entrer ici dans des considérations qui ont certainement attiré l'attention des lecteurs. Il suffira de rechercher comment la chauve-souris se rapproche des oiseaux par son mode de conformation. Le système tégumentaire prend, ainsi que nous l'avons vu, un développement prodigieux; il ne réunit pas seulement les membres antérieurs au corps de l'animal, il s'étend jusqu'aux membres postérieurs et enveloppe même la queue qui, comme l'observe Buffon, devient ainsi par cette jonction bizarre, l'un des doigts. Ces membranes alaires sont constituées par deux feuillets de peau très minces et très légers et distendus par les os du bras, de l'avant-bras et du métacarpe. Ceux-ci présentent en effet une disposition toute particulière qu'il importe de signaler : l'humérus et le radius sont très allongés et en même temps capables de supporter des efforts considérables ; afin de donner à l'avant-bras une solidité plus grande, le cubitus qui s'articule chez les mammifères et chez les oiseaux eux-mêmes avec l'extrémité antérieure du radius, se soude chez la chauve-souris vers le tiers de la longueur de ce dernier ; de plus, l'apophyse olécrâne qui forme, comme on sait, la partie supérieure du cubitus et qui s'adapte à la poulie de l'humérus, demeure constamment séparée du corps de l'os. Il en résulte que cette apophyse se trouve transformée en une véritable rotule brachiale; néanmoins, la grosseur de cette sorte de rotule semble dépendre de la taille du cubitus, puisque chez les sujets où ce dernier n'est que de petite taille, l'olécrâne est rudimentaire. Ce fait était resté inconnu jusqu'en1824. C'est M. Isidore Geoffroy Saint-Hilaire qui le signala après de nombreuse recherches sur le grand fer à cheval. I1 semble étonnant, au premier abord, que Cuvier, qui a étudié la structure de la chauve-souris et qui a décrit avec une scrupuleuse exactitude l'articulation du bras et de l'avant-bras, n'ait point soupçonné cette métamorphose. Le grand naturaliste avait probablement observé les espèces chez lesquelles ce trait caractéristique est peu saillant ; mais un examen plus attentif a démontré depuis qu'on peut également le remarquer dans tous les genres de chauves-souris. Ne sait-on pas, d'ailleurs, que chez les jeunes animaux l'extrémité de l'os n'est qu'imparfaitement soudée au corps lui-même, et qu'il est des cas où l'apophyse olécrane reste distincte de la pièce médiane pendant toute la vie? Ainsi, la disposition du bras et de l'avant-bras est précisément celle de la cuisse et de la jambe; au reste, les membres antérieurs de la chauve-souris n'exécutent que des mouvements de flexion et d'extension qui sont particuliers aux membres postérieurs. Si l'humérus et le radius impriment aux ailes le mouvement, les métacarpiens le transmettent et le communiquent, puisqu'ils distendent les membranes alaires. Les os du métacarpe s'allongent en effet en façon de baguettes dont la taille dépasse même celle du radius de plusieurs lignes. Mais comme ceux-ci servent exclusivement au vol, les phalangettes qui portent les ongles chez les autres mammifères se trouvent complètement supprimées; le pouce seul reste normal et présente un ongle recourbé et fort aigu, qui, comme nous le verrons dans la suite, doit servir à la chauve-souris pour s'accrocher aux aspérités; enfin, de même que chez les oiseaux, l'omoplate et l'apophyse coracoïde sont très développées, la clavicule est longue et puissante, et le sternum porte une saillie pour les points d'attache du muscle grand pectoral. Il serait superflu d'insister sur ces dernières modifications; M. Gustave Weiss en a déjà fait ressortir la portée en étudiant les différents organes du vol; nous examinerons comment cette fonction s'exécute chez la chauve-souris. Lunéville. Ernest Paulin. (A suivre.) (1) Voir les numéros du 1er mai et du 1er septembre 1871 (Du vol chez les oiseaux). |
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