Histoire naturelle Le Satyre fétide
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LE SATYRE FÉTIDE (Champignon). Le 8 novembre dernier, j'allai visiter le bois de la Haie, localité qui pendant ces derniers mois nous a offert une si riche collection de cryptogames, et particulièrement de champignons. La plupart des espèces que j'y avais remarquées ou recueillies pendant les mois de septembre et d'octobre avaient disparu; cependant je pus encore y constater la présence du Boletus edulis, de l'Agaricus bulbosus. du Clavaria coralloïdes et amethystea, etc.; de plus j'eus la bonne fortune de tomber sur une espèce aussi rare que curieuse, et jusqu'ici recherchée vainement, je crois aux environs de notre ville. Je veux parler du Satyre fétide (Phallus impudicus, Lin. Sp. 1848 — foetidus Sav. fung. 329), champignon bien connu des botanistes pour la bizarrerie de ses formes et pour l'odeur infecte qu'il répand autour de lui. Les quelques observations que j'ai pu faire sur ce champignon, ajoutées aux faits que j'ai recueillis dans différents auteurs, me permettront de vous en tracer un tableau assez fidèle, et de le suivre dans les différentes phases de son développement. Le Phallus impudicus, de la famille des Phalloïdées, appartient à un genre voisin des Morilles, dont il diffère principalement par la présence d'un valva complet, et auxquelles il fut même longtemps réuni, sous le nom de Morille impudique ou fétide. Avant de sortir de terre, il est tout entier renfermé dans son valva et présente alors l'aspect d'une boule blanchâtre, de la forme et du volume d'un oeuf environ. Celle masse est molle et assez pesante, et désignée vulgairement sous le nom d'oeuf du diable ou des sorcières. Si on en fait une coupe verticale, on remarque les parties suivantes, en allant de dehors eu dedans : 1° Une membrane blanchâtre, assez ferme, qui forme l'enveloppe la plus extérieure du champignon et ne présente aucune solution de continuité; 2° Une masse jaunâtre presque translucide et comme gélatineuse; elle forme une couche épaisse, qui recouvre les parties supérieures et latérales de l'oeuf, mais qui est interrompue vers la base, où elle se termine en cul-de-sac. C'est cette substance qui donne au champignon son poids et sa consistance. La base est formée par une sorte de disque à face supérieure concave et composé d'un tissu blanc et compacte, auquel sont fixées des radicules; 3" Une membrane analogue à la membrane la plus extérieure et tapissant la face interne de la couche gélatineuse, de sorte que celle masse est maintenue entre deux membranes fermes et résistantes. 4° Une membrane très mince, sorte de pellicule blanchâtre, souvent difficile à apercevoir, placée immédiatement sous la membrane interne du valva et formant une valve interne et partielle. Celte pellicule enveloppe, en effet, le champignon proprement dit, c'est-à-dire le chapeau et le pédicule, et envoie même un prolongement dans ce dernier organe. Elle est souvent déchirée avant la rupture du valva; 5° Le chapeau, lorsqu'on a fait une coupe verticale de l'oeuf, se présente sous la forme de deux lames verdâtres effilées à leurs extrémités et incarnées vers le centre. Il est composé d'une substance verdâtre contenue dans de larges alvéoles polygonales; 6° Le pédicule est fusiforme, creusé d'un large canal tapissé par la pellicule de la valve interne. I1 est formé par une sorte de tissu cellulaire très lâche, mais ferme alors, comme plissé et comprimé fortement. Cette disposition explique facilement le développement rapide du champignon. Telles sont les différentes parties qui composent le Phallus à l'état de boule. Son plateau inférieur est, comme nous l'avons dit, muni de radicules longues, nombreuses et résistantes, qui ne sont autre chose que le mycélium. Le valva met quelques jours à arriver a maturité; parvenu à ce point, il se déchire violemment, souvent même, dit Bulliard, avec une explosion assez forte, surtout par les temps secs et orageux. Alors le nouvel être, après avoir déchiré sa prison en lambeaux inégaux, s'élance tout glaireux de ce réceptacle, et, vivifié par la lumière, croît avec une rapidité étonnante : en moins de dix minutes, il peut atteindre son presque complet développement. Il revêt alors un aspect tout nouveau. Le pédicule est allongé, fistuleux, renflé vers sa partie moyenne et effilé à ses extrémités; il est comme spongieux, et sa surface est creusée d'un grand nombre de petites alvéoles. Il est faiblement attaché au fond du valva et traverse le chapeau qui le termine, de manière à former à sa partie supérieure un petit disque blanc qui présente un orifice communiquant avec le canal intérieur, mais ordinairement fermé par un débris de la valve interne. Le chapeau terminal est relativement petit et a la forme d'un cône; il est formé par une petite lamelle dont la face interne est unie et d'un blanc nacré, et dont la face externe présente un certain nombre d'alvéoles polygonales remplies par une substance molle et verdâtre appelée latex. On remarque aussi, sur le pourtour du chapeau, un petit liseré blanc formé par un repli de la face interne. Tel est l'aspect du Phallus arrivé à maturité; mais ce champignon se détruit presque aussi vite qu'il s'est développé. Bientôt l'enduit verdâtre qui recouvre Je chapeau prend une coloration plus foncée et se résout en une matière demi-liquide, fétide et noirâtre qui s'écoule goutte à goutte à terre, en entraînant les semences. Le chapeau dépourvu de son enduit ne présente plus alors qu'une charpente mince à surface polygonale. En même temps, le pédicule se boursoufle de plus en plus, sa tête s'incline recouverte de son chapeau qui finit lui-même par se détacher, enfin le champignon tout entier tombe en détritus. D'après Bulliard, le latex serait constitué par les organes reproducteurs du champignon. Des spores nombreuses, d'abord rondes, puis elliptiques, seraient attachées aux parois des alvéoles, et les intervalles qu'elles laissent libres seraient remplis par une substance mucilagineuse qui ne serait autre chose que le liquide fécondant. La fécondation s'opérerait instantanément, au moment de la rupture des valves, et le latex, en s'écoulant à terre, assurerait la germination des spores. Ces spores ne sont pas, d'ailleurs, les seuls moyens de reproduction du Phallus impudicus, car il possède le plus souvent, à sa racine, un petit tubercule destiné à remplacer le champignon primitif. L'aspect de ce cryptogame, l'odeur cadavéreuse qui s'en exhale, sont peu faits pour tenter les amateurs de champignons. Cependant il ne paraît pas doué de propriétés vénéneuses. On prétend, en effet, que les bêtes fauves le recherchent lorsqu'il est à l'état de boule et que les chats en sont friands, même après son complet développement. (Je n'ai pu constater ce dernier fait). De plus, les insectes dévorent le latex avec avidité, ce qui est peut-être une cause de la rareté de cette espèce. Enfin, plusieurs auteurs rapportent que les paysans de certaines contrées de l'Allemagne le font sécher, le réduisent en poudre et l'administrent à leurs bestiaux, lorsqu'ils veulent exciter l'activité génésique de ces animaux. L'analyse chimique, de son côté, n'y a fait reconnaître aucun principe vénéneux, mais au contraire de la fongine et de la bassorine en grande quantité. Tous ces faits semblent prouver suffisamment l'innocuité de ce champignon; malgré cela, un certain nombre d'auteurs s'accordent à le regarder comme vénéneux. Aux botanistes courageux et intrépides de fixer la science sur ce point!
Angers.
Gustave Mareàu. |
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