Histoire naturelle L'Histoire naturelle
Documents anciens d'histoire naturelle |
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L'HISTOIRE NATURELLE. En fondant ce journal, nous avions avant tout le désir de faire connaître aux jeunes gens une science aussi attrayante que peu répandue. Nous comptions sur l'aide de ceux qui connaissent par expérience tout l'intérêt et le charme de l'histoire naturelle, et les sympathies que la Feuille a rencontrées ont dépassé notre attente. Nous remercions vivement les personnes qui nous ont aidés de leurs conseils et de leur appui. Parmi les innombrables revues et journaux que les naturalistes de tous pays ont aujourd'hui à leur disposition pour y consigner leurs études et leurs observations, il nous a semblé qu'il y avait place pour un petit journal qui servirait d'organe aux jeunes naturalistes, de guide aux débutants qui ont à lutter contre les mille difficultés de l'inconnu que présentent de nouvelles études, et pourrait ainsi faire connaître la science pour laquelle nous nous sommes passionnés aux personnes qui se soucieraient peu d'aller l'étudier dans des ouvrages spéciaux. Nos colonnes sont ouvertes aux écrits de jeunes gens concernant l'histoire naturelle prise dans son sens le plus large; nous espérons ainsi encourager nos confrères à observer, à étudier plus spécialement certaines parties, ce qui présente de grands avantages En effet, en histoire naturelle plus qu'en toute autre chose, il est funeste de trop embrasser à la fois, et bien qu'aucune science ne se prête davantage à des études trop étendues pour les forces ou le temps dont on dispose, il faut se poser résolument une limite. Aussi conseillons-nous à tous ceux de nos lecteurs qui ont le désir d'arriver à connaître la nature, sans se consacrer exclusivement à son étude, de choisir une ou deux branches qu'ils travailleront à fond; mais en même temps, sous peine de n'avoir qu'une connaissance imparfaite et erronée de la science, il faut posséder une connaissance générale des autres branches de l'histoire naturelle. Quelques critiques qu'on nous a adressées de différents côtés et qui mettaient en doute l'utilité de l'histoire naturelle nous engagent à indiquer de nouveau avec quelque détail les avantages que cette science nous paraît avoir. Aujourd'hui que presque toute chose se cote et s'estime à sa valeur mercantile, on reproche à notre science de ne point avoir d'utilité pratique. C'est là une objection que ne manquent pas de formuler les gens de la campagne qui rencontrent un botaniste ou un entomologiste : « A quoi servent toutes ces herbes ou ces bêtes que vous prenez? » Et, sous peine de passer pour fou dans le pays, il faut improviser un emploi médicinal quelconque. Impossible de faire entrer dans la tête de ces braves gens l'idée qu'on puisse ramasser de pareilles vermines pour le simple plaisir de les connaître et d'étudier leurs moeurs. Mais ce ne sont pas seulement les gens de la campagne qui n'arrivent pas à comprendre l'occupation du naturaliste, bien des personnes, qui sembleraient devoir mieux saisir l'utilité et l'attrait de pareilles collections, se bornent à les considérer comme un enfantillage qu'elles placent au même rang que les collections de timbres-poste, et pour elles le naturaliste est un brave homme incapable de nuire à personne. Il est à peine croyable jusqu'à quel point, chez presque tout le monde, va l'ignorance des moeurs et même de l'existence de ce qui nous entoure de toute part. A-t-on jamais donné une pensée à ce monde d'insectes dont on connaît aujourd'hui plusieurs centaines de mille espèces? Tous ceux qui ont des ailes sont des mouches, les autres sont des sauterelles ou des scarabées; le tout est compris sous le nom de vermine On en voit un sur le sentier, qu'a-t-il fait? — On n'en sait rien, mais on a pour principe d'écraser les insectes qu'on rencontre parce qu'ils sont si laids. — L'a-t-on jamais regardé de près pour dire qu'il est laid? Sait-on si ce n'est pas un de ces auxiliaires précieux que la Providence a opposés aux insectes qui ravagent nos bois et nos champs? Comment plaindre le cultivateur dont les arbres sont détruits par le hanneton et le ver blanc, dont les champs sont dévastés par d'innombrables armées d'insectes, si de gaîté de coeur il va détruire ses propres alliés partout où il les rencontre. Que d'animaux, que l'on voit tous les jours, sont singulièrement calomniés : la chauve-souris doit être un animai mauvais — on en a peur — parce qu'elle vole la nuit, et qu'une souris ne doit pas avoir d'ailes. On se venge, en la massacrant, quand on peut le faire de loin : peu de personnes se doutent que cet animal inoffensif, qui n'est nullement une souris, avec son vol saccadé, est le destructeur acharné des insectes qui ne sortent qu'après le coucher du soleil. — Les fourmis sont bien connues de tout le monde; on sait vaguement qu'elles forment une république modèle, mais ce qu'on sait fort bien, c'est qu'elles font des provisions de grains de blé pour l'hiver; seulement ces prétendus grains ne sont que les nymphes de l'insecte. Encore un animal qu'on détruit et qu'on craint, sans donner une pensée, un coup d'oeil à un gouvernement organisé d'une façon complexe, mais dont tous les rouages marchent avec un ordre, une facilité qui devraient nous donnera réfléchir. — Nous avons rarement rencontré des personnes qui ne se soient pas récriées en apprenant qu'aucun insecte ne grandit plus une fois sa dernière métamorphose accomplie. Comment, s'écrie-t-on, vous voulez nous faire croire que toutes ces mouches, grandes et petites, qui hantent nos maisons, ne changeront pas de taille? — On ne se doute pas qu'il puisse y en avoir plusieurs espèces. — Nous ne parlerons pas des superstitions innombrables qui ont pour objets d'innocents animaux, crapauds, horloge de la mort, blaps, etc., etc., cela vous mènerait trop loin. En général, nous observons avec étonnement que ce sont les gens de la campagne, les ouvriers et les paysans, habitant au milieu des animaux de tout genre, qui sont les plus ignorants en cette matière, et qui vous débitent les fantaisies les plus absurdes sur ce qui les entoure; à la ville, quelques lectures donnent une idée, souvent il est vrai bien vague et bien fausse, des principaux animaux, plantes et minéraux. Cependant, si nous nous étonnons de voir l'histoire naturelle si peu répandue en général, nous ne nous dissimulons pas que c'est en grande partie aussi de la faute des naturalistes. Habitués à ne pas être compris, ils s'associent entre eux, évitent autant que possible tout contact avec le vulgaire, et ne font rien pour populariser non pas précisément la science aride, mais les parties de la science ayant une utilité pratique ou un intérêt particulier. Depuis quelques années, le nombre des publications concernant les sciences naturelles s'est multiplié dans une proportion colossale et presque effrayante, et il est presque impossible à un homme de connaître tous les ouvrages qui, dans différents pays, ont traité de sa spécialité pour peu qu'elle soit un peu étendue. Un des principaux caractères de cette avalanche de publications, c'est la naissance d'une classe déjà nombreuse d'ouvrages précieux destinés à la vulgarisation de la science. Ecrits pour la plupart par des hommes instruits et consciencieux, ces livres sont destinés aux gens du monde qui désirent avoir quelques connaissances en histoire naturelle, sans approfondir les sujets par eux-mêmes, plutôt qu'aux jeunes gens; c'est pour cela que nous avons cru qu'un organe, spécialement fondé pour eux, trouverait encore place au milieu des nombreuses publications périodiques déjà existantes. Cette science, en effet, semble destinée tout spécialement à la jeunesse; elle réunit tous les avantages désirables : trouver une source incessante d'observations et d'intérêt aussitôt qu'on sort de la maison, ne dépendre de rien au point de vue pécuniaire, développer une foule de qualités du corps, de l'esprit et du coeur : l'activité, l'adresse, l'esprit d'observation, d'ordre, l'indépendance de toutes les circonstances extérieures, la modération; avoir toujours à sa portée une distraction utile et intéressante, jamais un moment d'ennui ou de découragement, offrir un champ des plus vastes à la réflexion, aux spéculations philosophiques basées sur des faits, à l'étude des questions les plus élevées de l'entendement humain; voir chaque jour des merveilles mille fois plus admirables et plus étonnantes que celles des Mille et une Nuits; enfin, ce qui doit précéder tout le reste, faire naître l'amour et l'admiration raisonnée de la nature et de son tout-puissant Créateur; tout cela ne vaut-il pas la peine qu'on essaie de l'histoire naturelle? Ajoutez à cela que notre chère science n'est pas aussi dénuée de toute utilité pratique qu'on veut bien le dire; on commence à s'apercevoir que les animaux qui nous entourent ont une influence considérable sur nos conditions d'existence : des milliers d'espèces d'insectes nuisibles, armée infatigable et inépuisable de travailleurs, attaquent de tous côtés les plantes, les bois, les animaux qui nous sont utiles, — ici les sauterelles; le phylloxéra après l'oïdium, là les xylophages, les parasites, de tous côtés il faut nous défendre contre une perpétuelle invasion. Des germes microscopiques qui flottent par milliards dans l'atmosphère ou naissent, quand les circonstances sont favorables, occasionnent la plupart des maladies contagieuses. D'autre part, on découvre chaque jour de nouveaux animaux qui, s'ils retrouvent dans nos pays leurs conditions primitives d'existence, peuvent devenir chacun une source de richesse pour nous. On connaît assez l'utilité de la géologie au point de vue des sources, des mines, des carrières, etc. Ces quelques exemples suffiront pour laver l'histoire naturelle du reproche qu'on lui adresse, d'être futile et inutile. En présence de tous ces avantages, nous sommes persuadés qu'un jour viendra, jour qui n'est pas loin peut-être, où l'histoire naturelle, mieux connue de tout le monde, se trouvera placée, dans l'opinion, à la hauteur des autres sciences et des arts. Il faut pour cela que chacun de nous se mette à l'oeuvre, que les musées — qui sont trop souvent encore moles indigestoe rerum, ou bien des collections spécialement destinées à l'étude, et qui n'apprennent rien aux non initiés, pour lesquels les musées sont créés en grande partie — deviennent une véritable exposition populaire des trois règnes; il faut présenter au public la science dépouillée autant que possible de son inextricable classification, de ce vocabulaire de noms en apparence si barbares, terreur de ceux qui n'ont pas reconnu la nécessité absolue d'une classification unique. Nous avons l'espoir que la Feuille des Jeunes Naturalistes contribuera pour sa faible part à cette oeuvre, et nous puiserons dans cet espoir la patience et le courage de surmonter les difficultés que nous rencontrerons sur notre route, heureux si nous pouvons procurer quelques nouveaux adeptes à la plus captivante des sciences. |
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