Matelassier du Haut-Pays niçois
|
Mon activité a bien été décrite dans un article de la très belle revue "Le Haut-Pays", N°2 de Février 1997, Éditions du Cabri, que je reprends ci-dessous. Cet article est rédigé par Jacques Drouin, un amoureux du haut pays. _____ La tradition perpétuée du matelassier
Jacques Drouin
Sur la place du vieux village de Roquebillière, le matelassier a installé son métier à carder et s’est mis au travail. Déjà, la laine, nettoyée de ses impuretés après être passée sous cette étrange planche munie de gros clous et mue par la main de l’homme, s’amoncelle. Il y en aura bientôt assez pour confectionner un matelas. Chez les Giordano, on est matelassier par tradition familiale. Depuis la fin du XIXème siècle, quatre générations se sont ainsi succédées. Serge a choisi de reprendre le flambeau laissé par son père parce que ce métier lui « était offert sur un plateau ». Mais ce n’est pas la seule raison qui l’a poussé : Serge est un rural dans l’âme et pour rien au monde il n’aurait quitté son « pays » pour la ville. Ce métier lui a donc laissé la possibilité de vivre dans la Vésubie de son enfance. Au contraire des derniers matelassiers installés sur le littoral, Serge Giordano pratique toujours le cardage naturel. Par tradition ? « Pas seulement. Je trouve qu’une cardeuse à main préserve la laine, la rend plus souple, plus soyeuse. Elle ne casse pas la fibre comme le ferait une cardeuse électrique. J’ai aussi une cardeuse électrique mais je ne l’utilise que pour la laine usagée, car alors elle est plus efficace ». Cette vieille cardeuse à main que, de nos jours, on ne trouve plus que dans les écomusées ou chez les antiquaires, il la tient de son grand-oncle. La confection d’un matelas occupe une journée entière. Après le cardage qui dure de une heure et demi à deux heures, vient le moment important du remplissage de la toile : le matelas est mis en forme et la laine doit être harmonieusement répartie pour un bon équilibrage et assurer par la suite le meilleur confort possible. Il faut 21 à 22 kg de laine pour un matelas deux places. Serge a choisi de la faire venir du Limousin : une laine de qualité, longue et nerveuse, qui a du « ressort ». Cette seconde phase achevée, il passe au long travail de couture des bourrelets qui maintiendront la laine sur les côtés et contribueront à l’esthétique du matelas. Enfin, dernière opération, le capitonnage permet de maintenir la laine à l’intérieur même du matelas, à l’aide de deux capitons de tissus reliés par un fil : « J’en couds 24 paires pour un matelas de 140 cm ». En fait, rien n’a changé dans la façon de faire
depuis des générations, seule l’esthétique a été améliorée. La
toile rayée a été remplacée par
de la toile damassée (à fleurs) ; les
coloris se sont diversifiés. Serge mise aussi sur la qualité de son travail, en
augmentant le nombre de capitons, en réalisant des bourrelets plus fins et en
utilisant de la laine de meilleure qualité que celle utilisée par ses ancêtres.
Ainsi, après quelques années de « galère », il a réussi à se faire une place et
à fidéliser une clientèle qui déborde largement de sa vallée car il travaille
pour tout le haut-pays niçois et particulièrement dans la
haute et
moyenne vallée du Var. Il
compte également des clients sur la Côte. « Au début, je travaillais beaucoup
grâce au "bouche à oreille". Maintenant, je me fais connaître dans les
foires, les salons ou en faisant de
la pub dans quelques journaux spécialisés ». Autre spécificité de Serge Giordano, outre la
confection des matelas « à l’ancienne », le
travail à domicile. Cela lui a
permis d’établir des rapports privilégiés avec ses clients. « Quand
j’arrivais chez un client j’étais accueilli ; on m’offrait à boire, souvent on
m’invitait à dîner. Malheureusement, ces rapports tendent à évoluer. Est-ce la
disparition d’un certain mode de vie ? Toujours est-il que mes clients ont une
attitude plus distante, plus "professionnelle" dirais-je ». Seul matelassier implanté dans le haut-pays, Serge ne voit guère un avenir brillant à sa profession mais il garde toutefois espoir par le regain d’intérêt que portent les gens au travail artisanal et aux matelas naturels. « Un matelas en laine, on le garde toute sa vie ; il suffit de le refaire tous les quinze ans environ ». La réfection de vieux matelas représente d’ailleurs une part importante de son emploi du temps, bien plus importante que celle consacrée à la confection. Il fabrique aussi à la demande des sommiers tapissiers (ressorts, cordage et ouate). Après ces années de doute (il a même été boulanger durant deux ans à Ascros, où il a gardé une clientèle fidèle), Serge Giordano est maintenant totalement impliqué dans sa profession et entend être à la pointe, tout en conservant sa méthode traditionnelle de fabrication. Ainsi n’hésite-t-il pas, s’il le faut, à participer à des colloques sur la filière laine dans le milieu rural ; de ce fait il a rencontré les éleveurs-producteurs de laine à Briançon. « Éleveurs et artisans, il nous faut oeuvrer de concert pour améliorer la qualité de nos produits. Notre survie est à ce prix : les gens ne viendront vers nous que si nous leur offrons un service de qualité ». Aujourd’hui, Serge a un fils de deux ans. Lucas perpétuera-t-il la tradition de matelassier chez les Giordano ? Lui seul choisira, mais il serait bien dommage de ne plus voir le geste ancestral du cardeur dans la vallée de la Vésubie. M. Serge Giordano,
"Matelassier du Haut-Pays", |
|