"Dans une haute vallée du Comté de Nice, le
Val de Blore, une église romane est encore dressée, trapue, issant du sol, recouverte
d'un toit à double pente, flanquée d'un
haut clocher
carré comme il en existe beaucoup dans cette région.
Nous savons qu'il s'agit de l'église d'un
prieuré dépendant de l'Abbaye Bénédictine de PEDONA, l'actuel BORGO SAN DALMAZZO,
situé à la limite occidentale de la plaine du PIÉMONT, à la racine des Alpes du Sud.
Cette abbaye mère fut fondée en 613 de notre ère par la Reine Théodolinde de
Bavière, épouse du Roi lombard Agituif, à l'emplacement du martyr du soldat DALMAS au
IIIème siècle après J.C.
Une première période florissante peut être cernée aux VIIIème et IXème
siècles... Cette abbaye parait avoir été ruinée au Xème siècle par les Sarrazins,
dit-on. Les XIème et XIIème siècles semblent avoir vu le relèvement de l'abbaye mère.
L'époque d'établissement d'un prieuré de PEDONA dans le Val de Blore n'est pas
connue avec précision jusqu'à présent, mais le IXème siècle est très vraisemblable,
par rapprochement avec la présence d'un petit sanctuaire proche, avec hospice, LA MADONE
DES FENESTRE, au pied du col du même nom, fondée par les moines de PEDONA dans la
deuxième partie du IXème siècle.
Au XIème siècle, l'existence de ce prieuré SAINT DALMAS DE VALDEBLORE est attestée
par une donation (1060) par des Seigneurs du VAL DE BLORE, l'acte étant reçu par un
moine (ALEMANNUS) peut-être le Prieur. Au XIIème siècle, le Prieuré figure dans la
liste des bénéfices qui devaient la dîme à l'Evêque de NICE. La taxe est haute (15
deniers) et ce Prieur prend place, à cette époque, parmi les plus importants du diocèse
de NICE. La mise en commune date de 1485, les prieurs étaient co-seigneurs du VALDEBLORE,
de la ROCHE, de la BOLLINE, de SAINT MARTIN, de LANTOSQUE, tous villages voisins :
ils étaient nommés directement par le Saint Siège.
Peut-on imaginer les causes de l'installation d'un prieuré de cette importance dans ce
lieu qui parait aujourd'hui un peu à l'écart du mouvement général de notre époque. Il
faut d'abord noter qu'une route muletière transversale Est-Ouest permettait de franchir
au plus court la chaîne alpine et reliait directement l'abbaye mère de PEDONA à ce
prieuré d'abord, puis au delà vers l'Ouest, à la très ancienne voie dorsale bien
connue (Chambéry, Cimiez-Saint Pons). Un seul col important était à franchir en venant
d'Italie, le Col de Fenestre ; par la suite, aux XVème et XVIème siècles, cette
route servait, entre autres, au transport du sel de Provence vers l'Italie. Une étape,
certainement, mais dans un site très ouvert, favorable à la culture des céréales,
malgré son altitude (1300 m) et à l'élevage. Un habitat dont l'antiquité est
attestée par des découvertes de sépultures gallo-romaines et la présence d'un autel
antique, cet autel indiquant l'emplacement approximatif du village ancien de Saint Dalmas.
Ces simples raisons ont certainement pesé lourd au IXème siècle, l'effort de
colonisation Bénédictine pouvait se déployer dans cette vallée, à trois jours, au pas
des bêtes, de l'abbaye mère et la très difficile évangélisation de cette marche de la
Provence Orientale pouvait s'appuyer sur cette implantation prieurale véritable pivot...
D'autre part, il y avait sans doute une relique importante dans ce prieuré ;
peut-être déjà celle de la Sainte Croix, et nous avons sans doute là une des raisons
majeures de l'importance prise très rapidement par cette petite communauté monastique.
La vénération de la Relique Insigne : véritable substitut de celles de Rome, elle
aurait justifiée les efforts, véritablement gigantesques, déployés pour élever ce
sanctuaire offrant aux fidèles et aux pèlerins des installations et un cadre liturgique
convenable.
Efforts énormes que de construire apparemment sans moyens particuliers une église de
cette taille dans une haute vallée. C'est une région sans bonnes pierres ; des
calcaires marneux se délitant sous la pression, des quartzites défiant l'outil, du tuf
sans résistance et, conséquence logique, pas de tailleurs de pierre sur place, encore
aujourd'hui...
Il apparaît que nous avons désormais à Saint Dalmas Valdeblore un sanctuaire d'un
type présent en Lombardie, dans certaines régions du Piémont et en Ligurie. Il s'agit
en fait du plan basilical classique à trois nefs et trois absides comportant un
système de cryptes très complet, permettant au culte des
reliques
de s'exercer. Ces cryptes sont relativement peu enterrées.
Les accès permettant la circulation transversale sont directs depuis les bas côtés. On
pense généralement que ce système de cryptes hautes a été adopté afin de réserver
un large espace au sanctuaire supérieur dissimulé par
son élévation même aux fidèles ordinaires. Il importait en effet que la circulation
des pèlerins ne trouble pas le déroulement de la liturgie canoniale... En France
actuellement certaines églises présentent ces dispositions mais nulle part en aussi bon
état d'origine qu'à Saint Dalmas. On sait maintenant que, dans un premier temps,
seule la crypte centrale était prévue, puis lors de l'établissement du système de
cryptes actuel, avec son extraordinaire façade occidentale barrant complètement les
trois nefs, les deux cryptes latérales furent construites entraînant de sensibles
modifications dans le plan général de l'église...
Pour notre église Ste Croix, il semble, au stade actuel de l'étude, que l'on puisse
remonter légèrement la datation jusqu'à l'extrême limite du Xème siècle pour le
principal de la construction avec d'importantes modifications aux XIème et XIIème
siècles"
G. TRUBERT
Conservateur municipal
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