Aux traces de son sang, un vieux hôte des bois,
Renard fin, subtil et
matois ;
Blessé par des chasseurs, et tombé dans la fange,
Autrefois attira ce
parasite ailé
Que nous avons mouche appelé.
Il accusait les dieux, et trouvait fort étrange
Que le sort à tel point le voulût affliger,
Et le fit aux mouches manger.
« Quoi! se jeter sur moi, sur moi le plus habile
De tous les hôtes des
forêts!
Depuis quand les renards sont-ils un si bon mets?
Et que me sert ma queue? est-ce un poids inutile?
Va, le Ciel te confonde, animal importun!
Que ne vis-tu sur le commun ! »
Un hérisson du voisinage,
Dans mes vers
nouveau personnage,
Voulut le délivrer de l'importunité
Du peuple plein
d'avidité:
« Je les vais de mes dards enfiler par centaines,
Voisin renard, dit-il,
et terminer tes peines.
- Garde-t'en bien, dit l'autre; ami, ne le fais pas
Laisse-les, je te
prie, achever leur repas.
Ces animaux sont soûls; une troupe nouvelle
Viendrait fondre sur moi,
plus âpre et plus cruelle. »
Nous ne trouvons que trop de mangeurs ici-bas:
Ceux-ci sont courtisans, ceux-là sont magistrats.
Aristote appliquait cet apologue aux hommes.
Les exemples en sont communs,
Surtout au pays où nous sommes.
Plus telles gens sont pleins, moins il sont importuns.
Jean de La Fontaine, Fable XIII,
Livre XII.
Le Renard, les Mouches et le Hérisson
Fable de Jean de la Fontaine
Illustration de Gustave Doré