Autrefois carpillon fretin
Eut beau prêcher, il eut beau dire,
On le mit
dans la poêle à frire.
Je fis voir que lâcher ce qu'on a dans la main,
Sous espoir de grosse
aventure,
Est imprudence toute pure.
Le pêcheur eut raison; carpillon n'eut pas tort
Chacun dit ce qu'il peut
pour défendre sa vie.
Maintenant il faut
que j'appuie
Ce que j'avançai lors, de quelque
trait encor.
Certain loup, aussi sot que le pêcheur fut sage,
Trouvant un chien hors
du village,
S'en allait l'emporter. Le chien représenta~
Sa maigreur: «
Jà ne plaise à votre seigneurie
De me prendre en cet
état-là;
Attendez:
mon maître marie
Sa fille unique, et vous jugez
Qu'étant de noce, il faut,
malgré moi, que j'engraisse. »
Le loup le croit, le loup le laisse.
Le loup, quelques
jours écoulés,
Revient voir si son chien n'est point
meilleur à prendre;
Mais le drôle était au
logis.
Il dit au loup par un treillis :
« Ami, je vais sortir; et, si tu veux attendre,
Le portier du logis et
moi
Nous serons tout à l'heure à toi. »
Ce portier du logis était un chien
énorme,
Expédiant les loups en forme.
Celui-ci s'en douta. « Serviteur au portier »,
Dit-il; et de courir. Il était fort agile;
Mais il n'était pas fort habile:
Ce loup ne savait pas encor bien son métier.
Jean de La Fontaine, Fable X,
Livre IX.

Le Loup et le Chien maigre
Fable de Jean de la Fontaine
Illustration de Gustave Doré