Un lion, décrépit, goutteux, n'en pouvant
plus,
Voulait que l'on trouvât remède à la vieillesse.
Alléguer l'impossible aux rois, c'est un abus.
Celui-ci parmi chaque
espèce
Manda des médecins; il en est de tous arts.
Médecins au lion viennent de toutes parts;
De tous côtés lui vient des donneurs de recettes.
Dans les visites qui sont
faites,
Le renard se dispense et se tient clos et coi.
Le loup en fait sa cour, daube, au coucher du roi,
Son camarade absent. Le prince tout à l'heure
Veut qu'on aille enfumer renard dans sa demeure,
Qu'on le fasse venir. II vient, est présenté;
Et sachant que le loup lui faisait cette affaire :
« Je crains, Sire, dit-il, qu'un rapport peu sincère
Ne m'ait à mépris imputé
D'avoir différé cet
hommage;
Mais j'étais en
pèlerinage
Et m'acquittais d'un vœu fait pour votre santé.
Même j'ai vu dans mon
voyage
Gens experts et savants, leur ai dit la langueur
Dont Votre Majesté craint, à bon droit, la suite.
Vous ne manquez que de
chaleur;
Le long âge en vous l'a
détruite.
D'un loup écorché vif appliquez-vous la peau
Toute chaude et toute
fumante;
Le secret sans doute en
est beau
Pour la nature
défaillante,
Messire loup vous
servira,
S'il vous plaît, de robe
de chambre. »
Le roi goûte cet avis-là
:
On écorche, on taille, on
démembre
Messire loup. Le monarque en soupa,
Et de sa peau
s'enveloppa.
Messieurs les courtisans, cessez de vous détruire;
Faites, si vous pouvez, votre cour sans vous nuire.
Le mal se rend chez vous au quadruple du bien.
Les daubeurs ont leur tour d'une ou d'autre manière:
Vous êtes dans une
carrière
Où l'on ne se pardonne
rien.
Jean de La Fontaine, Fable III,
Livre VIII.
Le Lion, le Loup et le Renard
Fable de Jean de la Fontaine
Illustration de Gustave Doré