Rien ne sert de courir1; il faut partir à point
Le lièvre et la tortue en sont un témoignage.
« Gageons, dit celle-ci, que vous n'atteindrez point
Sitôt que moi ce but. - Sitôt? :E:tes-vous sage?
Repartit l' animal léger
:
Ma commère, il vous faut
purger
Avec quatre grains
d'ellébore.
- Sage ou non, je parie
encore. »
Ainsi fut fait; et de
tous deux
On mit près du but les
enjeux:
Savoir quoi, ce n'est pas
l'affaire,
Ni de quel juge l'on
convint.
Notre lièvre n'avait que quatre pas à faire,
J'entends de ceux qu'il fait lorsque, prêt à être atteint,
Il s'éloigne des chiens, les renvoie aux calendes,
Et leur fait arpenter les
landes.
Ayant, dis-je, du temps de reste pour brouter,
Pour dormir et pour
écouter
D'où vient le vent, il laisse la tortue
Aller son train de
sénateur.
Elle part, elle
s'évertue,
Elle se hâte avec
lenteur.
Lui cependant méprise une telle victoire,
Tient la gageure à peu de
gloire,
Croit qu'il y va de son
honneur
De partir tard. II broute, il se repose,
II s'amuse à toute autre
chose
Qu'à la gageure. A la fin, quand il vit
Que l'autre touchait presque au bout de la carrière,
II partit comme un trait; mais les élans qu'il fit
Furent vains : la tortue arriva la première.
« Eh bien! lui cria-t-elle, avais-je pas raison?
De quoi vous sert votre
vitesse?
Moi l'emporter! et que
serait-ce
Si vous portiez une
maison? »
Jean de La Fontaine, Fable X,
Livre VI.
Le Lièvre et la Tortue
Fable de Jean de la Fontaine
Illustration de Gustave Doré