Jamais auprès des fous ne te mets à portée :
Je ne te puis donner un plus sage conseil.
Il n'est enseignement pareil
A celui-là de fuir une tête éventée.
On en voit souvent dans les cours:
Le prince y prend plaisir; car ils donnent toujours
Quelque trait aux
fripons, aux sots, aux ridicules.
Un fol allait criant par tous les carrefours
Qu'il vendait la sagesse,
et les mortels crédules
De courir à l'achat; chacun fut diligent.
On essuyait force grimaces;
Puis on avait pour son argent,
Avec un bon soufflet, un fil long de deux
brasses.
La plupart s'en fâchaient; mais que leur servait-il?
C'étaient les plus
moqués : le mieux était de rire,
Ou de s'en aller, sans rien dire,
Avec
son soufflet et son fil.
Ce chercher du sens à la chose,
On se fût fait siffler ainsi qu'un
ignorant.
La raison est-elle garant
De ce que fait un fou? le hasard est la cause
De
tout ce qui se passe en un cerveau blessé.
Du fil et du soufflet pourtant embarrassé,
Un des dupes un jour alla
trouver un sage,
Qui, sans hésiter davantage,
Lui dit: « Ce sont ici
hiéroglyphes tout purs.
Les gens bien conseillés, et qui voudront bien faire,
Entre eux et les
gens fous mettront, pour l'ordinaire,
La longueur de ce fil; sinon je les
tiens sûrs
De quelque semblable caresse.
Vous n'êtes point trompé: ce fou vend la sagesse. »
Jean de La Fontaine, Fable VIII,
Livre IX.

Le Fou
qui vend la sagesse
Fable de Jean de la Fontaine
Illustration de Gustave Doré

Le Fou
qui vend la sagesse
Fable de Jean de la Fontaine
Illustration de Gustave Doré