Du palais d'un jeune lapin
Dame belette, un beau
matin,
S'empara : c'est une
rusée.
Le maître étant absent, ce lui fut chose aisée.
Elle porta chez lui ses pénates, un jour
Qu'il était allé faire à l'Aurore sa cour
Parmi le thym et la
rosée.
Après qu'il eut brouté, trotté, fait tous ses tours,
Jannot lapin retourne aux souterrains séjours.
La belette avait mis le nez à la fenêtre.
« O Dieux hospitaliers! que vois-je ici paraître?
Dit l'animal chassé du paternel logis.
O là, Madame la belette,
Que l'on déloge sans
trompette,
Ou je vais avertir tous les rats du pays. »
La dame au nez pointu répondit que la terre
Était au premier
occupant.
« C'était un beau sujet
de guerre,
Qu'un logis où lui-même il n'entrait qu'en rampant.
Et quand ce serait un
royaume,
Je voudrais bien savoir, dit-elle, quelle loi
En a pour toujours fait
l'octroi
A Jean, fils ou neveu de Pierre ou de Guillaume,
Plutôt qu'à Paul, plutôt
qu'à moi. »
Jean lapin allégua la coutume et l'usage :
« Ce sont, dit-il, leurs lois qui m'ont de ce logis
Rendu maître et seigneur, et qui, de père en fils,
L'ont de Pierre à Simon, puis à moi Jean, transmis.
« Le premier occupant », est-ce une loi plus sage?
- Or bien, sans crier
davantage,
Rapportons-nous, dit-elle, à Raminagrobis. »
C'était un chat vivant comme un dévot ermite,
Un chat faisant la
chattemite,
Un saint homme de chat, bien fourré, gros et gras,
Arbitre expert sur tous
les cas.
Jean Lapin pour juge
l'agrée.
Les voilà tous deux
arrivés
Devant Sa Majesté
fourrée.
Grippeminaud leur dit : « Mes enfants, approchez,
Approchez, je suis sourd, les ans en sont la cause. »
L'un et l'autre approcha ne craignant nulle chose.
Aussitôt qu'à portée il vit les contestants,
Grippeminaud, le bon
apôtre,
Jetant des deux côtés la griffe en même temps,
Mit les plaideurs d'accord en croquant l'un et l'autre.
Ceci ressemble fort aux débats qu'ont parfois
Les petits souverains se rapportants aux rois.
Jean de La Fontaine, Fable XVI,
Livre VII.
Le Chat, la Belette et le petit Lapin
Fable de Jean de la Fontaine
Illustration de Gustave Doré