Dans le cristal d'une fontaine
Un cerf se mirant
autrefois
Louait la beauté de son
bois,
Et ne pouvait qu'avecque
peine,
Souffrir ses jambes de
fuseaux,
Dont il voyait l'objet. se perdre dans les eaux.
« Quelle proportion de mes pieds à ma tête?
Disait-il en voyant leur ombre avec douleur :
Des taillis les plus hauts mon front atteint le faîte;
Mes pieds ne me font
point d'honneur. »
Tout en parlant de la sorte,
Un limier le fait partir.
Il tâche à se garantir;
Dans les forêts il s'emporte.
Son bois, dommageable
ornement,
L'arrêtant à chaque
moment,
Nuit à l'office que lui
rendent
Ses pieds, de qui ses
jours dépendent.
Il se dédit alors, et maudit les présents
Que le ciel lui fait tous
les ans.
Nous faisons cas du beau, nous méprisons l'utile;
Et le beau souvent nous
détruit.
Ce cerf blâme ses pieds, qui le rendent agile;
II estime un bois qui lui
nuit.
Jean de La Fontaine, Fable IX,
Livre VI.
Le Cerf se voyant dans l'eau
Fable de Jean de la Fontaine
Illustration de Gustave Doré