Un jour deux pèlerins sur le sable rencontrent
Une huître, que le flot
y venait d'apporter:
Ils l'avalent des yeux, du doigt ils se la montrent;
A l'égard de la dent il fallut contester.
L'un se baissait déjà pour amasser la proie;
L'autre le pousse, et dit: « Il est bon de savoir
Qui de nous en aura la
joie.
Celui qui le premier a pu l'apercevoir
En sera le gobeur ; l'autre le
verra faire.
- Si par là l'on juge l'affaire,
Reprit son compagnon, j'ai l'œil bon,
Dieu merci.
- Je ne l'ai pas mauvais aussi,
Dit l'autre; et je l'ai vue avant vous,
sur ma vie.
- Eh bien! vous l'avez vue; et moi je l'ai sentie. »
Pendant tout ce bel
incident,
Perrin Dandin arrive : ils le prennent pour juge.
Perrin, fort gravement, ouvre l'huître, et la gruge,
Nos deux messieurs
le regardant.
Ce repas fait, il dit d'un ton de président:
« Tenez, la cour vous donne à chacun une écaille
Sans dépens, et qu'en
paix chacun chez soi s'en aille. »
Mettez ce qu'il en coûte à plaider aujourd'hui;
Comptez ce qu'il en reste à beaucoup de familles,
Vous verrez que Perrin
tire l'argent à lui,
Et ne laisse aux plaideurs que le sac et les
quilles.
Jean de La Fontaine, Fable IX,
Livre IX.

L'Huître et les Plaideurs
Illustration de Oudry
Fable de La Fontaine

L'Huître et les Plaideurs
Fable de Jean de la Fontaine
Illustration de Gustave Doré