Laridon et César, frères dont l'origine
Venait de chiens fameux, beaux, bien faits, et hardis,
A deux maîtres divers échus au temps jadis,
Hantaient, l'un les forêts, et l'autre la cuisine.
Ils avaient eu d'abord chacun un autre nom;
Mais la diverse
nourriture
Fortifiant en l'un cette heureuse nature,
En l'autre l'altérant, un certain marmiton
Nomma celui-ci Laridon.
Son frère, ayant couru mainte haute aventure,
Mis maint cerf aux abois, maint sanglier abattu,
Fut le premier César que la gent chienne ait eu.
On eut soin d'empêcher qu'une indigne maîtresse
Ne fît en ses enfants dégénérer son sang.
Laridon négligé témoignait sa tendresse
A l'objet le premier
passant.
Il peupla tout de son
engeance :
Tournebroches par lui rendus communs en France
Y font un corps à part, gens fuyant les hasards,
Peuple antipode des
Césars.
On ne suit pas toujours ses aïeux ni son père:
Le peu de soin, le temps, tout fait qu'on dégénère
Faute de cultiver la nature et ses dons,
Oh! combien de Césars deviendront Laridons!
Jean de La Fontaine, Fable XXIV,
Livre VIII.
L'Education
Fable de Jean de la Fontaine
Illustration de Gustave Doré