Ne forçons point notre talent,
Nous ne ferions rien avec
grâce:
Jamais un lourdaud, quoi
qu'il fasse,
Ne saurait passer pour
galant.
Peu de gens, que le ciel chérit et gratifie,
Ont le don d'agréer infus avec la vie.
C'est un point qu'il leur
faut laisser,
Et ne pas ressembler à l'âne de la fable,
Qui, pour se rendre plus
aimable.
Et plus cher à son maître, alla le caresser.
« Comment? disait-il en
son âme,
Ce chien, parce qu'il est
mignon,
Vivra de pair à compagnon
Avec Monsieur, avec
Madame;
Et j'aurai des coups de
bâton?
Que fait-il? il donne la
patte;
Puis aussitôt il est
baisé:
S'il en faut faire autant afin que l'on me flatte,
Cela n' est pas bien
malaisé. »
Dans cette admirable
pensée,
Voyant son maître en joie, il s'en vient lourdement,
Lève une corne tout usée,
La lui porte au menton fort amoureusement,
Non sans accompagner, pour plus grand ornement,
De son chant gracieux cette action hardie.
« Oh! oh! quelle caresse! et quelle mélodie!
Dit le maître aussitôt. Holà, Martin-bâton! »
Martin-bâton accourt: l'âne change de ton.
Ainsi finit la comédie.
Jean de La Fontaine, Fable V,
Livre IV.