Ce site utilise des cookies afin de vous offrir une meilleure expérience de navigation. Continuer à le visiter signifie que vous acceptez leur utilisation.
|
|
La dégradation des sols
A travers le monde, les exemples dé sols gravement modifiés, gravement blessés, suite à leur mise en valeur, sont nombreux : érosion, tassement superficiel, salinisation des sols irrigués, appauvrissement en matière organique. Le développement des activités humaines influence de plus en plus fortement, et partout dans le monde, les fonctionnements et les propriétés des sols. Ces modifications agissent en retour sur les autres sphères avec lesquelles le sol est en relation : lithosphère, hydrosphère, atmosphère, biosphère. La couverture pédologique occupe donc une place, charnière, par rapport à l'ensemble des changements locaux, régionaux, globaux que connaît la Terre. Les modifications dues à l'homme des dynamiques, des constituants, des structures, des propriétés des sols sont plus ou moins rapides, plus ou moins rapidement perceptibles (depuis l'échelle de la minute jusqu'à celle du siècle). Un tassement superficiel, par le passage d'un tracteur trop lourd sur un sol humide, est l'affaire d'une seconde. La chute des teneurs en matières organiques d'un sol forestier qui vient d'être défriché pour être cultivé, est l'affaire de quelques mois. La naissance d'un horizon subsuperficiel compacté par l'irrigation n'est perceptible qu'au bout de quelques années. L'appauvrissement en éléments fins argileux des horizons superficiels d'un sol cultivé n'est perceptible qu'au bout d'une ou plusieurs décennies. Toutefois, modification des sols ne signifie pas toujours dégradation. Dans ses relations avec les sols, l'homme n'a pas fait que dégrader. Certaines modifications, provoquées par l'homme, influencent positivement les sols. La construction de terrasses, l'épierrage, l'irrigation et le drainage, l'épandage de fumier, la fabrication et l'utilisation de composts... sont autant de démarches et de techniques que les sociétés humaines ont inventé pour survivre dans des régions où les sols étaient une ressource rare ou pauvre (1). L'agriculture traditionnelle, moderne mais enracinée dans l'histoire est une agriculture qui a su, soit conserver les sols et leur fertilité, soit les construire. Cette agriculture était, ou est, diversifiée en fonction de la variété des milieux : de beaux exemples existent encore en Asie. En revanche, l'agriculture dite moderne, veut procéder de manière identique à travers le monde entier, elle prétend faire abstraction des diversités des milieux et en particulier des diversités des sols ; elle ramène le sol à l'étroite perception du matériau, qu'il n'est pas. Cette agriculture fragilise et détruit les sols, marginalise et expulse les agriculteurs. C'est l'histoire récente, et encore actuelle, de l'Europe, de l'Amérique Latine et de bien d'autres régions du monde. Aujourd'hui, en Europe, ceux qui veulent rester agriculteurs savent qu'ils ne réussiront qu'en reprenant la voie de la diversification de la production en fonction de la diversité des milieux. Ils savent qu'il doivent reconstruire la fertilité morphologique et biologique de leurs sols ; pour cela ils doivent réapprendre à découvrir leurs sols. L'appauvrissement du sol L'appauvrissement de la diversité et de l'activité biologiques, et la diminution des taux de matière organique atteignent pratiquement tous les sols cultivés du monde. L'appauvrissement de la diversité biologique (le nombre d'espèces diminue) et la diminution de l'activité biologique des sols, suite à leur défrichement, ainsi que la baisse des taux de matière organique dans les sols, sont inéluctables. On ne peut les empêcher, les systèmes cultivés étant biologiquement beaucoup moins diversifiés que les systèmes naturels. Mais on peut apprendre, ou réapprendre, à maintenir dans les sols (par des apports de fumiers et de composts, par des enfouissements d'engrais verts, c'est-à-dire de cultures que l'on ne récolte pas, ainsi que par des rotations de cultures associant des plantes d'enracinement différent...). La matière organique est source d'une bonne agrégation, fine, poreuse, stable, et d'une bonne porosité indispensable à la circulation des eaux et des gaz, à la pénétration des racines, à l'activité biologique. En outre, elle est source et réservoir de nombre d'éléments nutritifs (azote, phosphore, potassium, calcium...). Le maintient d'un minimum organique (du point de vue fertilité des sols, on estime ce minimum vers 1 à 1,5 % de carbone dans les horizons superficiels) est donc un objectif important, trop souvent oublié, de l'agriculture moderne. Il est impensable, dans l'état actuel des connaissances techniques et des situations économiques, d'envisager de retrouver les taux de 10% et plus, répartis profondément, qui sont ceux de bien des sols sous végétation naturelle, forestière et steppique. Cependant un pourcentage compris entre 1 à 1,5 %, selon les régions, semble possible en utilisant les méthodes déjà citées ci-dessus : fumier, compost, engrais vert...(2) et suffisant du point de vue agricole. Le tassement des sols La modification des systèmes poreux des sols, la baisse de leur porosité, sont l'une des expressions les plus graves de la dégradation des sols. En effet, tous les sols ont une porosité naturelle, conséquence de leurs constituants (argiles, limons, sables), de leurs agrégations (plus ou moins développées et stables), de leurs activités biologiques. Cette porosité gère tout le fonctionnement hydrologique des bassins versants ainsi que les fonctions nutritives et épuratrices des couvertures pédologiques. Or on constate, partout dans le monde, que les sols utilisés par les sociétés humaines se tassent, perdent une partie de leur porosité, et ceci sur des épaisseurs qui peuvent atteindre plusieurs dizaines de centimètres. Quand les systèmes de cultures sont bien conçus, adaptés aux sols : alternances de cultures, outils agricoles utilisés aux bonnes humidités, rotation correcte des animaux qui pâturent..., cette compaction peut rester acceptable, sans conséquences trop graves ni sur les circuits hydrologiques, ni sur la pénétrabilité des sols par les racines. Mais tel n'est plus le cas aujourd'hui, dans la plupart des systèmes agraires, qu'ils soient intensifs ou non. L'utilisation d'outils agricoles trop lourds (tracteurs, récolteuses, remorques...), mal réglés ou mal adaptés (charrues...), sur des sols trop humides ou trop secs ; des animaux laissés trop longtemps sur des pâturages trop humides (tassement par piétinement) ; des engrais ou amendements mal adaptés qui vont déstabiliser, faire éclater, les agrégats. Une non utilisation des fumiers, composts, et autres engrais organiques, des irrigations mal conduites qui déstructurent et tassent les sols par excès alterné d'humidité et de sécheresse. Il en est de même de l'abus de la monoculture. Des sols laissés nus trop longtemps, sont soumis ainsi à la déstructuration par la sécheresse et par l'impact des pluies. Tout ceci compacte gravement les sols. Comme les baisses des taux de matières organiques, le tassement des sols est un phénomène qui atteint ou menace tous les sols cultivés et pâturés du monde. Il peut conduire à l'abandon des terres (voir, par exemple, les abandons en zones sahéliennes ; ou en Amazonie après destruction de la forêt et pâturage extensif pendant quelques années...). Sauf s'il y a eu tassement des vides les plus fins, la compaction est réversible, en quelques années. Encore faut-il prendre conscience de l'importance de la porosité pour la fertilité des sols et de la gravité des dégradations actuelles : cette prise de conscience commence à se faire actuellement, tout doucement, principalement sous la pression des évidences économiques (baisse des rendements des cultures, en particulier sur les sols des régions tropicales et équatoriales, malgré les augmentations de doses d'engrais). L'érosion Parmi les conséquences des appauvrissements biologiques, des baisses de taux de matière organique et des tassements, il y a le double développement de l'érosion des sols (entraînement latéral, par l'eau ou par le vent, de matériaux sol situés en surface : particules d'argiles, de limons, de sables) et de l'appauvrissement interne des sols en particules fines. L'érosion est un phénomène naturel, normal... et utile. C'est en effet grâce à un bon équilibre entre la formation du sol, à partir de la roche, et l'érosion, que de nombreux sols du monde ne s'épaississent pas trop. De ce fait, ils restent naturellement fertiles, car régulièrement alimentés à leur surface, par le biais des activités biologiques animales et végétales, à partir des éléments libérés en profondeur par altération des roches. Les sols trop épais, fréquents en régions tropicales, sont chimiquement pauvres, en partie à cause de leur épaisseur qui éloigne leur surface de l'alimentation en éléments minéraux à partir de l'altération en profondeur de leur roche-mère. Ceci dit, quand l'érosion va trop vite, c'est à dire quand elle va plus vite que l'épaississement du sol et que la reconstitution régulière des horizons organiques et biologiques de surface, elle devient dangereuse. C'est ce qui se passe dans de nombreuses régions du monde : voir les ravines profondes qui entaillent les paysages d'Algérie, ou de Madagascar, ou de l'Etat brésilien de Sâo Paulo, ou de la région de Delhi,... De même les ravines se développent dans les pays bocagers de l'Ouest de la France après le remembrement qui a eu pour conséquence de détruire haies et fossés qui protégeaient les sols contre l'érosion ; etc... Les données concernant l'érosion actuelle des sols sont nombreuses ; elles manquent souvent de précision, mais elles sont malgré tout suffisamment claires pour causer l'inquiétude. Au niveau mondial, les quantités d'éléments nutritifs entraînés chaque année, avec la terre érodée, donc perdus pour la production agricole, sont équivalentes à celles apportées par les engrais minéraux épandus chaque année ; et ceci sans compter les énormes pertes de matière organique, les horizons régulièrement érodés étant toujours les plus riches en matières organiques. Les drames sont particulièrement fréquents dans de nombreux pays des régions chaudes. La lutte contre l'érosion est donc une priorité, encore mal prise en compte par de trop nombreuses sociétés, rurales et périurbaines. Les stratégies et les techniques de lutte contre l'érosion sont nombreuses et diverses : cultures en terrasses ; labours et travaux agricoles selon les courbes de niveaux ; plantations de lignes d'arbres ; aménagement de rigoles naturelles d'écoulement des eaux ; remembrements parcellaires en tenant compte de l'existence de bassins versants, souvent bien imaginées mais mal réalisées. Mais il faut insister que sur un point : le sol est fait pour produire et pour nourrir ; c'est-à-dire que la lutte contre l'érosion n'a pas de sens si elle se fait au détriment de la production, en particulier de la production agricole. La lutte contre l'érosion, la protection des sols, doivent être intégrées dans des stratégies de production et non de mise en réserve de surfaces de sols : les sols productifs doivent être protégés contre l'érosion, ce qui ne veut pas dire qu'on doit, sous prétexte de les protéger, empêcher les agriculteurs de les cultiver. Les dégradations irréversibles La mise en valeur agricole n'est pas la seule responsable de la dégradation des sols. Il faut citer également les utilisations non biologiques des sols : croissances des villes et des bidonvilles, des complexes industriels et commerciaux, des zones touristiques ; intensification des réseaux routiers, multiplication des aéroports ; constructions de barrages hydroélectriques ; intensification de l'exploitation des ressources minières superficielles. Ce sont autant de surfaces tassées, bouchées, bétonnées. Plusieurs dizaines de milliers d'hectares sont ainsi, chaque année, soustraits définitivement, sans espoir de retour, aux fonctions biologiques, alimentaires, d'échange et de filtre de la couverture pédologique. Plusieurs dizaines de milliers d'hectares, ce n'est peut-être pas grand chose en soi ; sauf que, dans la majorité des cas, ce sont les sols les plus fertiles qui disparaissent, sous le béton, ou sous la misère des urbanisations sauvages : les villes, en grandissant, ne sautent pas par-dessus les périphéries agricoles qui les ont nourries pendant des siècles ; elles les rongent, les font disparaître ; les routes sont plus faciles, plus "économiques" à construire en terrain plat : ce sont des terres fertiles ; les riches terrasses alluviales des vallées sont convoitées par les industriels qui recherchent la proximité de sources d'eau... POUR EN SAVOIR PLUS
Alain Ruellan et Mireille Dosso :
Alain Ruellan et Victor Targulian : --- 1-Traditionnellement,
les sociétés agraires savent qu'il n'y a fertilité des sols que s'ils sont
profonds, bien drainés, bien structurés, riches en matière organique, capables
de stocker l'eau et les éléments nutritifs. -Retour- 2- La matière organique est, à l'échelle de l'homme, une ressource
renouvelable. -Retour- |
|