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Les consommations d'énergie
Pour les pays de l'OCDE les prévisions faites en 1974, qui envisageaient une consommation de 10 milliards de tonnes équivalent pétrole (GTEP) en l'an 2000 ont été successivement corrigées à la baisse pour atteindre 8,9 milliards (estimations en 1977), puis 5 (en 1982) et 4,5 (en 1992). Restent alors les inquiétudes sur une forte croissance de la demande énergétique des pays en développement. En effet, les pays du tiers-monde consomment aujourd'hui 0,5 tonne équivalent pétrole (TEP) par tête d'énergie contre 4 à 8 TEP par tête pour les pays occidentaux, ce qui laisse place à une possible explosion des besoins en cas de rattrapage massif de nos niveaux de consommation. Mais là encore, le Dr. Pangloss ou M. Homais pourraient faire valoir que l'observation des tendances de longue durée du rapport énergie/PIB montre qu'au fur et à mesure de leur accès à l'industrialisation, les différents pays ont parcouru des trajectoires de hausse puis de baisse de ce ratio mais avec des maxima de plus en plus bas (J.-M. Martin, 1992). En d'autres termes, les pays du Tiers-monde pourraient se développer en s'appropriant d'entrée les technologies les plus efficaces énergétiquement. De façon plus immédiate, du fait de la difficulté à trouver des moyens pour financer l'expansion de l'offre d'énergie, le "rattrapage" des niveaux de consommation occidentaux se ferait donc à un rythme non explosif. Ce caractère "rassurant" des tendances de la demande se double d'un retour d'optimisme concernant l'offre d'énergie. L'idée d'une raréfaction absolue des ressources énergétiques "comme limite à la croissance", constitue, certes, dans sa simplicité un thème médiatique porteur et un avertissement utile, mais elle est scientifiquement peu tenable. Au seul plan quantitatif, le charbon suffirait à satisfaire les besoins mondiaux en croissance pendant quelques millénaires ; sur un tel horizon, ce n'est pas faire preuve d'un optimisme technologique exagéré que de penser que nous aurons trouvé des moyens soit de maîtriser totalement la sécurité de l'énergie nucléaire (surtout dans son maillon faible qui est le bouclage total de cycle du combustible), soit de vivre sur les flux énergétiques que reçoit la planète (c'est-à-dire l'ensemble des énergies éoliennes, solaires et de biomasse) et non plus sur ses seuls stocks de combustibles fossiles. Quant au pétrole, le rapport entre réserves ultimes estimées et réserves prouvées (réserves répertoriée et disponibles aux prix courants), n'a cessé de croître depuis 30 ans. Certes, l'accès à ces énergies coûte de plus en plus cher (forage offshore, par exemple) mais, là encore, le progrès technique peut déplacer dans le temps l'apparition des contraintes : les coûts du forage d'exploration et d'exploitation des gisements de la Mer du Nord ont été diminués par deux au cours de la dernière décennie. La maîtrise de l'énergie : une discipline nécessaire Sans jouer les Cassandre, il est cependant possible de s'appuyer sur l'histoire récente pour montrer que, ce que les économistes appellent les coûts externes de la production et de la consommation d'énergie, ont en fait constitué et continueront à constituer l'argument le plus décisif en faveur d'une maîtrise de nos consommations énergétiques. Passons d'abord rapidement sur les coûts géopolitiques de notre dépendance vis-à-vis de réserves pétrolières très localisées ; il y a en effet toujours le risque d'un retour des chocs pétroliers. De ce point de vue, la coexistence d'une Amérique du Nord dont la consommation par tête est d'environ le double de celle de pays comme la France, et de la montée des consommations en provenance des pays en développement, peut suffire à recréer de fortes tensions sur le marché pétrolier, à une date bien sûr imprévisible, si les consommations repartent sur une tendance plus élevée que celle que nous avons connue en 1973 et 1988(1). Mais, au cas où nous oublierions les enseignements de deux chocs pétroliers pourtant récents, les problèmes environnementaux constituent la limite la plus réelle sur nos consommations d'énergie en imposant des contraintes sur l'offre. Les exemples ne manquent pas où : - les risques liés à
l'énergie nucléaire ont historiquement joué un rôle majeur dans l'arrêt du
développement de cette filière dans la majeure partie des pays occidentaux (USA,
Allemagne, Europe du Nord, Italie) et cette contrainte continuera à peser au
moins dans les prochaines années. Enfin, depuis la fin des années 1980, le dossier du changement climatique a pris une dimension majeure. Le dernier rapport du Groupement Intergouvernemental pour l'Étude des climats conclue que les connaissances sont suffisantes aujourd'hui pour aller au delà des mesures "sans regret", c'est-à-dire de coût faible, sinon nul ; il appelle à une action de précaution qui passe par une baisse notable des émissions de CO2 venant du secteur énergétique, ce qui, pour les prochaines années passe entre autres par une moindre croissance de consommations. Marges de manœuvre et bifurcations En fait, plutôt que de trancher entre optimistes et pessimistes quant à l'évolution des consommations d'énergie à long terme, il est plus utile de pointer les bifurcations possibles vers des sentiers de développement plus ou moins intensifs en énergie. Les consommations d'énergie se regroupent en effet en trois sous-secteurs dont les logiques sont fort différentes. Les experts s'accordent en effet pour dire qu'il est techniquement possible d'augmenter très fortement l'efficacité énergétique dans le domaine de l'habitat (maisons mieux isolées, mieux climatisées, progrès dans l'éclairage ou les appareils électroménagers). Or, on peut, sur ces types de besoins, faire l'hypothèse d'une évolution asymptotique des niveaux de consommation en raison de phénomènes de saturation (nombre de téléviseurs par ménage, surface habitée). Même s'il peut y avoir des écarts importants sur les standards ultimes ou jugés désirables (4 m2 par habitant pour les Etats-Unis contre 1 pour le Japon en 1985), la combinaison d'effets de saturation et du progrès technique permet raisonnablement d'envisager la stabilisation de la consommation de ce secteur. Dans le secteur industriel, il semble aussi que les effets de structure (poids des industries lourdes) combiné aux progrès de la productivité globale et de l'efficacité énergétique, permettent de conclure à moyen terme une tendance à la baisse de la consommation d'énergie par unité de valeur ajoutée. Mais un tel mouvement rencontrera certainement une asymptote dans la mesure où l'essentiel des évolutions de structure a joué depuis les deux dernières décennies et où des limites de nature physique existent dans l'amélioration des rendements. La poursuite du découplage entre énergie et croissance industrielle se jouera donc in fine sur le degré de sophistication des produits et le fait qu'une valeur ajoutée croissante pourra être tirée d'une tonne d'acier, de base pétrochimique ou de tout autre matériau. C'est ce que certains auteurs appellent la "dématérialisation de l'économie". Sans trancher ici, il semble cependant raisonnable d'attendre que la poursuite, même ralentie, de la baisse de la part des industries lourdes, combinée à une recherche de meilleure compétitivité, évitera un dérapage explosif de consommation industrielle, à condition bien sûr que les prix de l'énergie ne soient pas trop durablement bas. En revanche, dans le domaine des transports la situation est totalement différente. Contrairement à ce qui se passe dans d'autres secteurs, la réduction des consommations en carburant par kilomètre est loin de se retrouver dans les chiffres globaux de consommation en raison du manque d'entretien des véhicules, des tendances à la croissance de la puissance moyenne du parc, de l'augmentation des kilomètres parcourus et de la dégradation du trafic en raison de l'encombrement urbain. Mais surtout, à la différence du domaine de l'habitat, on ne perçoit pas aujourd'hui (sauf dans le cas des encombrements urbains) de saturation dans les besoins de déplacement, bien au contraire. Tout d'abord, une société de services, si elle s'accompagne d'une réduction de besoins énergétiques par unité de valeur ajoutée provoque aussi une croissance des besoins de déplacements (en biens et personnes) que ne contrebalance pas la croissance des techniques de télécommunications. Dans bien des cas d'ailleurs, l'existence de ces moyens facilite des contacts entre des populations éclatées dans l'espace et est génératrice, dans un second temps, de nouveaux besoins de déplacement des personnes. A cela s'ajoute le caractère de plus en plus ouvert de l'économie qui induit une croissance très forte des besoins en transports de marchandises. Enfin, le besoin de loisirs se traduit par des déplacements touristiques de plus en plus longs. C'est à ce niveau que des bifurcations s'opèrent, sur lesquelles il sera difficile de revenir ; que l'on songe, par exemple, au fait qu'en l'absence de décisions prises à temps concernant le creusement des canaux ou la construction de voies ferrées, la réalisation d'une Europe de l'Ouest économiquement intégrée s'accompagnera spontanément d'un doublement du transport de marchandises en quinze ans. Une fois cette bifurcation réalisée (c'est-à-dire de nouvelles autoroutes construites, de nouveaux tunnels percés), le mouvement risque bien d'être irréversible ne serait-ce que par la masse des intérêts liés à ces investissements. Perspectives Tout se joue donc sur l'efficacité des politiques d'incitation. Ces politiques ont deux piliers indissociables. Le premier est l'ensemble des mesures institutionnelles visant à améliorer le fonctionnement des marchés pour permettre l'adoption des technologies les plus efficaces (labels, information) et à soutenir la R et D. Le deuxième pilier est celui des prix ; dans une économie de marché, aucun investissement durable de recherche ne sera fait sur les produits et les techniques, aucune attention ne sera portée sur les conséquences à long terme des politiques d'urbanisme et d'aménagement si des signaux appropriés ne sont pas donnés sur les coûts à long terme de l'énergie. Certes ceci n'est pas très populaire puisque cela revient à relever les prix de l'énergie. Cependant, cette tension entre court terme et long terme peut être levée si on tient compte du fait que le produit des taxes sur l'énergie (et le carbone contenu) pourrait être recyclé sous forme d'une baisse des charges sociales. Ces charges, nécessaires pour garantir un minimum de solidarité nationale, créent un écart entre le salaire reçu (créateur de demande) et le coût salarial payé par l'entrepreneur ; elles constituent un élément de chômage structurel dans nos économies et de nombreuses études ont montré que, surtout si les baisses de cotisations sont ciblées sur les bas salaires, il y avait là les éléments d'un "double-dividende" : dividende environnemental et dividende économique. Mais il faut, là encore des mesures d'accompagnement pour que les catégories les plus défavorisées aient accès à des équipements plus performants et n'aient pas une facture énergétique alourdie. En d'autres termes, la maîtrise des consommations d'énergie doit être vue comme un élément de prudence par rapport à des risques à long terme. Mais cette prudence ne sera acceptée que si elle contribue à alléger certains des problèmes immédiats de nos sociétés. POUR EN SAVOIR PLUS Martin J.M., J. C. Hourcade, M. Kostopoulou, J.-M. Martin, B. Dessus. Revue de l'énergie. ADEME IFEN B. Dessus. J.-B. Lesourd, J.-Y. Faberon. --- 1- Nous savons que de tels chocs, s'ils ne sont pas suffisamment anticipés, peuvent se traduire par des déficits brutaux du commerce extérieur et des ruptures de croissance économique. -Retour- |
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